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The Last of Us 2 │ ❤ 10

Si on m’avait dit à l’heure de gloire des Uncharted que je mettrais un jour “Naughty Dog” et “Chef-d’œuvre” dans la même phrase, ça m’aurait fait doucement rigoler. The Last of Us 1, auquel j’ai joué sur le tard en 2021, m’avait déjà sérieusement secoué, mais ne réalisait son plein potentiel qu’avec “Left Behind”, son DLC très narratif et parfaitement ciselé.

Je suis très client pour les fictions interactives et les expériences narratives utilisant les codes du cinéma. Autant dire que TLoU2 était fait pour moi, mais je ne m’attendais pas à ce qu’il parvienne à me remuer les tripes pendant 30 heures d’affilée, une grande claque après l’autre, et à m’impliquer aussi intimement. En jouant avec mes sentiments grâce à son écriture et ses personnages remarquables, il démontre un art de la mise en scène qui n’a cessé de m’impressionner.

Si vous avez le moindre intérêt pour le titre, je vous encourage fermement à ne pas lire la section avec spoilers de cette critique, car je ne saurais dire à quel point il est capital de se faire surprendre et de le découvrir comme Naughty Dog souhaite que vous le découvriez. Évitez les screenshots, les avis et les critiques, et lancez-vous à l’aveuglette s’il en est encore temps.

Si vous n’avez joué à aucun Last of Us, vous pouvez vous arrêter ici et commencer par le premier car il s’agit d’une suite directe qui ne devrait en aucun cas être jouée en premier.

Précédemment, dans The Last of Us

The Last of Us se terminait sur un mensonge terrible. Celui de Joel décidant de cacher à Ellie ce qui s’était réellement passé dans le QG des Fireflies et en lui laissant croire que son immunité n’avait pas d’utilité et que leurs tribulations en territoire infecté ainsi que le sacrifice de Tess avaient été vains.

Ce second opus en est la suite mais commence 5 ans plus tard. Ellie et Joel se sont installés avec le groupe de Tommy et vivent une existence relativement paisible dans ce petit bastion de civilisation dans un monde en ruine. Leur passé va les rattraper et les mettre sur le sentier de la guerre, tout en entraînant leurs proches dans une spirale de vengeance et de violence qui ne laissera personne indemne.

Le gameplay reprend la formule du premier volet avec une alternance d’exploration, d’action et d’infiltration, ponctués de séquences purement narratives.

Chaque aspect a été renforcé par rapport au premier volet : les environnements sont plus larges et ouverts, les puzzles plus malins mais toujours aussi peu encombrants, les combats beaucoup plus fluides et viscéraux, et surtout l’infiltration s’enrichit drastiquement en devenant l’un des piliers du jeu, contre des ennemis humains ou infectés, avec toute une panoplie d’outils à votre disposition et un challenge qui s’étoffe en conséquence.

L’approche de la narration est assez similaire à ce que faisait Half-Life en son temps : privilégier l’immersion par l’interactivité en laissant le contrôle le plus souvent possible, avec des passages explicitement narratifs mais très peu de cutscenes, si ce n’est dans les moments où la mise en scène apporte vraiment quelque chose.

La narration passe par les dialogues, l’environnement mais surtout par vos déplacements et vos actions. Vous en apprendrez plus sur le monde en explorant les environnements, et découvrirez les personnages au fil de leurs conversations pendant les balades à pied ou à cheval.

L’histoire est simple mais sert un propos plus ambitieux et son apparente simplicité joue en sa faveur. Elle déconstruit le mythe de la violence justifiée en montrant l’escalade d’une vendetta sanglante et ses effets sur tous les personnages impliqués. J’y reviendrai dans la partie avec spoilers, mais c’est clairement la force du titre et ce qui le rend aussi unique. Le traitement est non seulement original mais surtout servi par une écriture remarquable et une mise en scène à la fois cinématographique et sublimée par son caractère interactif.

Si l’impact émotionnel du jeu est aussi fort et marque encore une nouvelle étape après Left Behind, c’est par l’identification aux personnages et un attachement qui se construit lentement, au fil des heures, comme c’était le cas dans le premier titre entre Ellie et Joel. C’est aussi la distance qui peut parfois se créer entre leur joueur et son personnage et les questionnements plus intimes qui en découlent. Et c’est surtout impossible d’en parler davantage sans rien révéler.

La FAQ des reproches de merde

The Last of Us 2 est un épisode polarisant, pour toutes sortes de raisons. Sur Metacritic, il affiche un Metascore de 93% (critiques professionnelles) contre 57% de User score. Le jeu a subi une campagne de review bombing à sa sortie, avec énormément de fans frustrés par la direction de l’histoire, qui lui ont collé 0 ou 1. Certaines de ces critiques font l’effort de trouver une excuse à cette note, mais la plupart se contente de déverser leur venin ou pleurnicher sur le fait que les dev ont ruiné leur série préférée.

Et comme vous avez peut-être entendu certains de ces griefs, examinons un peu les critiques récurrentes :

► L’histoire est horrible et n’a aucun sens. Pourquoi avoir ainsi ruiné la série ?

Le plus beau compliment que je puisse faire au titre est qu’il n’essaye pas de plaire à ses fans mais au contraire de les mettre en difficulté, les confronter à leurs propres contradictions et démanteler ce qu’ils considèrent comme sacré.

Il est rarissime qu’un studio aussi réputé prenne autant de risques plutôt que simplement brosser leur fanbase dans le sens du poil. Même au sein de Naughty Dog, la direction narrative du titre n’a pas fait que des heureux et a rencontré une certaine résistance, et je suis très agréablement surpris qu’ils aient eu les couilles d’aller au bout de leurs ambitions.

Druckman (lead writter) a fait des choix narratifs radicaux qui lui ont mis à dos une minorité vocale de fans hautement toxiques. Ces derniers avaient des attentes très spécifiques pour la suite de The Last of Us (continuer la même chose que le premier, avec la même dynamique de personnages et une happy ending) et quand ces espoirs ont été brisés, leur réaction fut aussi viscérale que stupide, comme envoyer des menaces de mort aux acteurs jouant les antagonistes.

Je me permets une appartée car je trouve fascinant de découvrir à quel point il est courant chez les fans d’une oeuvre de n’avoir aucun recul, au point de croire que le personnage et l’acteur sont une seule et même personne, et d’en arriver à insulter un acteur pour les choix qu’a fait son personnage. Parvenir à dissocier un rôle et son interprète est quelque chose que j’avais toujours considéré comme une évidence et un acquis, mais je me rends compte que c’est un exercice intellectuel qui laisse pas mal de monde sur le carreau, et c’est franchement effrayant.

► Le jeu n’invente rien et ne propose rien qui n’a déjà été fait ailleurs.

Pour faire une analogie, on ne demande pas à chaque film de révolutionner les codes du cinéma, et beaucoup ont accédé au statut de chef d’oeuvre sans avoir excessivement innové dans leur catégorie.
Ici, l’exécution est irréprochable et sert de support pour raconter une histoire haletante, peuplée de personnages crédibles et attachants. Créer un gameplay innovant n’a jamais été l’intention du studio sur ce titre.

Je trouve le gameplay efficace et bien équilibré, mais ce n’est clairement pas ce qui me pousserait à jouer longtemps. Il s’agit avant tout d’un jeu narratif : ce sont l’histoire et les personnages qui portent l’expérience.

► La violence gratuite est insupportable. Est-ce qu’autant de violence était nécessaire ?

Oui. C’est l’un des jeux les plus violents auxquels j’ai joué. Certaines scènes sont particulièrement choquantes, non pour leur niveau de gore ou la quantité d’hémoglobine, mais pour l’impact qu’elles parviennent à avoir. Plus généralement, j’ai serré les dents à chaque plan sur le visage crispé d’Ellie en train d’égorger une victime dont on voit le regard se ternir après un ultime sursaut de terreur.

C’est aussi la première fois, sûrement depuis Spec Ops: The Line, que la violence est à ce point justifiée et nécessaire au propos. Je suis convaincu que la plupart de ceux qui ont reproché au jeu son niveau de violence n’ont pas terminé l’histoire, ou n’ont pas compris ce qu’elle accomplissait.

► C’est pas un jeu, c’est encore un pamphlet imbitable pour Social Justice Warriors. Qui a foutu des nègres et des pédés dans mon jeu préféré ?

Comme pour ses choix narratifs, TLoU2 est aux antipodes de ces jeux trop lisses qui essayent à toute force de ne déplaire à personne et de surtout pas faire un pas de travers qui pourrait contrarier son audience. Le fan service est alors roi, on surfe sur la nostalgie et les tendances à la mode et on aboutit à des jeux chiants et sans aspérité.

TLoU2 n’a pas peur de la violence mais ne l’esthétise pas, tout comme il n’idéalise pas l’amour et la sexualité. Il met en scène une galerie de personnages divers dans tous les sens du terme : dans leurs ethnicités, leurs affinités et leur histoire. A aucun moment ça ne m’a semblé forcé, politique ou fourré au chausse-pied pour un quota d’inclusivité.

Au passage, le jeu s’est aussi pris une brouette de merde homophobe en osant sortir des sentiers battus de l’hétérosexualité. Un des personnages féminins principaux est souvent qualifiée de trans par les fans les plus cons, parce qu’elle a de gros biceps et n’est pas conforme aux habituels canons de beauté de l’héroïne occidentale. Ils ne sont apparemment jamais entrés dans une salle de fitness.

MAJOR SPOILERS ALERT

On attaque les gros spoilers qui tâchent. Si vous n’avez pas encore terminé le jeu, c’est le moment de vous arrêter.

Pourquoi TLoU est-il brillant, et pourquoi s’agit-il du chef d’oeuvre de Naughty Dog et d’un jeu important ?

Pour commencer, la manière dont Naughty Dog remet en question le rapport à la violence et à la vengeance est quelque chose que j’ai très rarement vu dans le jeu vidéo, une industrie reposant très largement sur le meurtre pour la plupart des titres les plus populaires.

Le changement de point de vue qui s’opère par surprise à la moitié du jeu prouve que l’on peut ressentir de l’empathie pour les deux factions opposées et comprendre leurs motivations respectives, ce qui est déjà un bel exercice de style narratif. Mais ce n’est pas tout, car l’interactivité vient en remettre une couche.

Cette structure narrative permet de se rendre compte, en temps que joueur, que ce qu’on avait accepté et considéré comme ‘normal’ en jouant Ellie – à savoir trucider des dizaines de personnes sans se poser trop de questions – était absolument abject et impardonnable du point de vue des antagonistes. Pour eux, Ellie n’est pas une pauvre victime qui vient réclamer une vengeance méritée, mais une putain de machine à tuer. C’est une psychopathe terrifiante qui ne s’arrête jamais et n’a aucune limite.

Revivre ces évènements d’un point de vue totalement différent est une expérience profondément singulière : On en vient à haïr le personnage auquel on s’était identifié pendant les dix premières heures, mais pas seulement. On apprend aussi à s’identifier à celle que l’on nous a fait dès le début considérer comme l’ennemie et le boss de fin. Et on ne se content pas de la jouer : on finit par l’aimer et se sentir intimement impliqué dans ses dilemmes et sa propre quête de vengeance.

Pour moi, c’est vraiment le tour de force de TLoU2, et quelque chose dont je n’avais encore fait l’expérience dans aucun medium, que ce soit jeu, film ou roman.

Trop long ou juste assez ?

Le jeu est très long, mais – une fois n’est pas coutume – c’est ce qui fait sa force, car il ne s’agit pas ici d’un énorme open world rempli de vaines distractions et d’activités répétitives. Tout est à sa place et vient servir le propos et les thèmes abordés.

Au moment où j’ai fini avec Ellie, je pensais toucher à la fin du jeu, et j’ai eu un grand moment de confusion quand on m’a mis dans les bottes d’Abby. Je suis vraiment soulagé de ne rien avoir vu ou lu sur le sujet et d’avoir pu me lancer dans l’aventure sans savoir à quoi m’attendre. A ce titre, Naughty Dog a encore fait un pari risqué en ne mentionnant rien de cela sur la jaquette du jeu, dans sa communication, mais aussi en mentant ouvertement lors d’interviews où le studio affirmait qu’Ellie serait le seul personnage jouable.

Et c’est une réussite totale. Cette campagne de désinformation délibérée a permis de créer l’effet de surprise pour que la transition émotionnelle entre les deux personnages s’opère comme prévu : de la résistance à la résignation et l’acceptation jusqu’à ce que la magie de l’empathie opère et que je me retrouve #TeamAbby, malgré mon rejet initial.

Je pense malgré tout que j’aurais pu finir par ressentir une certaine lassitude s’ils n’avaient pas mis le paquet dans la seconde partie.

Heureusement, Abby a non seulement l’arc narratif le plus émouvant, mais aussi les séquences de jeu les plus cool, avec des combats plus pêchus et une descente aux enfer absolument épouvantable dans le Ground Zero. Je pourrais citer encore de nombreux passages, car ses 10h sont remplis de moments d’anthologie et j’en ai savouré chaque minute.

Mais surtout, c’est là que la première partie prend tout son sens. Narrativement, on avait préparé le terrain avec Ellie et Abby vient tout chambouler et nous faire reconsidérer tout ce qu’on considèrait comme acquis.

Dans les bottes d’Abby, on en vient non seulement à relativiser la justice expéditive d’Ellie, mais aussi à voir d’un autre oeil les séraphites, ces sauvages qu’on avait jusqu’alors toujours perçu comme des antagonistes anonymes et inhumains. C’est bien sûr beaucoup plus compliqué que ça.

Écrire un jeu aussi long était un exercice délicat (et coûteux) pour Naughty Dog mais il me semble important de préciser que l’histoire n’est pas longue pour le plaisir de l’être. Il faut du temps pour créer du lien et de l’empathie, particulièrement avec ces changements de point de vue, et pour amener le joueur à l’état émotionnel voulu, il fallait lui laisser le temps de s’immerger et s’attacher.

On s’attache grâce à des conversations anodines qui sonnent juste, un rythme parfois délibérément lent, des moments tendres et intimes qui laissent le temps de s’imprégner de la mélancolie des protagonistes. Dans un monde de blockbusters calibrés qui filent vite et droit, c’est assez rare pour être apprécié.

Arrivé à la moitié de The Last of Us 2, j’étais prêt à lui mettre un gros 10 et le mettre au panthéon des oeuvres majeures de cette génération de consoles. Durant sa seconde partie, j’ai mentalement revu ma note à la haute jusqu’à arriver aux alentours de 13 sur 10, et je suis allé me faire un tatouage de Neil Druckmann sur la fesse droite et Halley Gross sur la gauche.

Parfaitement maîtrisé de bout en bout, il combine une écriture remarquable, une réalisation qui a quelques années d’avance et un ton encore plus âpre et mâture que le premier volet. C’est une réussite narrative totale, un pari osé par une équipe qui n’a pas froid aux yeux et c’est un bonheur de voir qu’ils sont allés au bout de leurs ambitions, mais aussi bien au-delà de mes attentes.

10

10/10

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