Mon premier Yakuza, et clairement pas le dernier, puisqu’il m’a fait commencer cette saga monumentale que j’aurai malheureusement bientôt terminée, deux ans et dix jeux plus tard.
Certainement l’épisode le plus abouti de la série, Yakuza 0 est une préquelle se déroulant 17 ans avant les événements du premier Yakuza, ce qui en fait le meilleur point d’entrée dans la série et le meilleur épisode indépendant, avec un début et une fin satisfaisante.
Et pour ceux qui ont joué aux épisodes précédents, c’est un festival de fan service qui sert aussi d’origin story aux deux personnages emblématiques de la série : Kiryu et Majima, tous deux jouables par à tour de rôle.
En quelques mots, il s’agit d’une sorte d’action RPG dans un monde ouvert à l’échelle de deux quartiers, avec des combats en beat them all, des tonnes de cutscenes, des dizaines d’heures de dialogues et une multitude de mini jeux. En tant que beat them all, c’est rigolo, mais pas d’une profondeur extrême, mais il s’agit avant tout d’un jeu narratif absolument linéaire qui flirte parfois avec le visual novel.
Le jeu est très beau, mais tourne à 60 FPS sur la cafetière qui me sert de PC. Les décors ne sont pas toujours très détaillés, mais bourrés de personnalité, avec des quartiers japonais plus vrais que nature, des textures en super haute définition, des dizaines de NPC à l’écran et un rendu des visages et des regards absolument incroyables.
Profusion de contenu
Yakuza 0 est un énorme pavé, avec deux personnages jouables dont chaque campagne pourrait faire office de (long) jeu complet, une histoire bourrée de cinématiques et de dialogues avec des rebondissements à ne plus savoir qu’en faire. Le contenu est d’une générosité comme je n’en avais encore jamais vu, avec sa profusion d’histoires secondaires, de mini jeux plus ou moins foutraques et carrément d’énormes blocs de gameplay de ‘gestion’ facultatifs vous mettant dans la peau d’un promoteur immobilier ou d’un gérant de cabaret.
En 80h de jeu, j’ai eu le temps de terminer la campagne, la plupart des intrigues annexes, les deux campagnes de gestion, mais il m’aurait fallu quelques mois de plus pour boucler toutes les activités et l’abondance de petites histoires qui viennent s’y attacher.
Au programme : Karaoké, pêche, bowling, téléphone rose (à essayer absolument), baseball, Shogi, Disco club, et même des courses de mini voitures. Pour les fans de paris et de casinos, il y a aussi du Blackjack, Poker, Roulette, Baccarat et une demi tonne de trucs Japonais incompréhensibles : Mah Jong, Cee-lo, Cho-han, Oicho-Kabu et Koi-Koi. Oh, et j’oubliais les salles d’Arcade avec l’UFO catcher (ces horribles machines attrape-peluches) et quelques vieilles gloires des années 80 : Hang-On, Space Harrier et Outrun.
Cela dit, rien ne vous empêche de vous concentrer sur la trame principale, vu que tout ça est à la carte, mais ce serait rater une grosse partie du charme de Yakuza, car la plupart ces activités (la première liste, pas tout le bordel de casinos) sont traitées avec tellement d’humour qu’ils ont réussi à me rendre accro au Karaoké et à leur mini jeu de dance au gameplay digne d’un jeu Facebook.
Dissonnance narrativo-narrative
J’en viens à ce qui rend Yakuza aussi génial que singulier, c’est le décalage permanent entre le profond sérieux de sa trame principale et le WTF total de tout le reste.
L’histoire est dramatique et plutôt premier degré, mais sans pour autant se prendre excessivement au sérieux. Les moments les plus pesants sont souvent contrebalancés par des passages plus légers, ce qui rend le rythme très plaisant. Ça se dévore comme une bonne série télé.
Les quêtes annexes, souvent inoubliables, vont littéralement dans tous les sens : infiltrer une secte, apprendre l’autorité à une Dominatrix timide, aider Spielberg à filmer un clip de Michael Jackson, aider un ex-taulard à se reconnecter à sa famille, enquêter sur un voleur de pantalons, acheter un magazine porno à un enfant de 10 ans, aider un groupe de punk rock à avoir l’air badass, démanteler un trafic de petites culottes usagées, et j’en passe.
En une session de jeu, vous alternerez entre du Scorsese Japonais (avec quand même une ambiance résolument ‘anime’ où tout est très exagéré et les personnages résolument surhumains) et de l’humour potache avec des dialogues surréalistes, de l’argot plein de calembours, beaucoup d’humour sous la ceinture et des blagues de caca. Sauf que c’est toujours remarquablement bien écrit et tellement japonais.
Je mets les pieds où je veux
Cette surenchère et la constante exagération sont aussi ce qui fait l’attrait des scènes d’actions et particulièrement des combats. Ici, on pète des gueules avec style et panache, en utilisant le décor ou n’importe quelle arme improvisée, de la batte de baseball au vélo, en passant par une théière ou une chaise de bureau.
C’est violent, intense, renforcé par des slow-mo et des angles de caméra ultra-dramatiques et les finishers sont sublimés par une mise en scène qui n’en peut plus d’en remettre des louches. Et c’est tant mieux, car mécaniquement, le combat est assez médiocre, mais c’est un tel spectacle qu’on ne s’en lasse pas trop, parce qu’on a toujours de nouvelles techniques dévastatrices ou ridicules à débloquer.
Dans la même veine, il y a pas mal de QTE qui donnent lieu à des moments violents et épiques, comme la prise d’assaut des locaux de Dojima au début du jeu où en l’espace de 5 minutes, vous aurez défoncé des crânes à coup d’extincteurs, jeté vos ennemis par les fenêtres après leur avoir fracassé la mâchoire contre les urinoirs, et défoncé une quantité affolante de mobilier. Ça parait violent, mais c’est toujours désamorcé par le fait qu’à la fin des combats, tout le monde se relève et s’époussette comme de rien n’était.
Collection de gueules
J’ai beaucoup parlé de l’histoire et de la narration, car c’est très clairement le plus important dans les Yakuza et c’est clairement grâce à l’énorme galerie de personnages que vous allez rencontrer au fil de vos explorations urbaines ou entre deux cassages de tronches.
Déjà, tous ces personnages sont bien écrits et presque toujours beaucoup plus nuancés que ce à quoi je m’attendais initialement. Il y a peu de personnages clichés ou anecdotiques. Tous ont leur histoire, leurs motivations, leurs idéaux et la subtilité de l’écriture est sublimée par le rendu très réaliste et détaillé des visages.
Non seulement vous pourrez compter les rides, plonger dans les pores ou admirer les cicatrices de vos interlocuteurs (les plus marquants d’entre eux ont vraiment leur histoire gravée sur la gueule), mais l’animation est suffisamment précise pour permettre des micro-expressions ou des regards qui en disent long.
La traduction anglaise des sous-titres est excellente, mais ce sont surtout les voix japonaises exceptionnelles qui donnent de l’épaisseur à ces personnages, que ce soit la voix suave de Kiryu, des gueulantes de Yakuzas rageurs, des sessions de karaoké endiablés ou encore les moments d’émotion où les acteurs sortent leurs tripes et donnent tout ce qu’ils ont. Et peu importe que je ne pine rien au Japonais. J’ai rarement été impressionné par la qualité d’un doublage, mais celui-ci sort réellement du lot.
Immersion au Japon
Yakuza est de loin le jeu le plus Japonais auquel j’ai joué. Ça se passe dans un Japon réaliste, avec des personnages japonais, et rien que pour ça, c’est beaucoup plus dépaysant que les simili-US des jeux Capcom.
Ce côté ‘très Japonais’ est l’un des aspects les plus intéressants du jeu. Entre les décors, la version originale, les interactions entre les personnages, la musique et tout le background culturel de la thématique Yakuza, on s’y croirait. Après avoir lavé le déshonneur de votre patriarche dans le sang, vous pouvez finir la soirée au Karaoké et vous empiffrer de Katsu-don avant de prendre le taxi pour rejoindre votre appartement de six mètres carrés.
Vous en apprendrez aussi beaucoup sur la période, grâce à une reconstitution très fidèle du Tokyo de 1988, fin de la bulle spéculative japonaise et période de tous les excès : une époque de richesse qui semblait ne jamais devoir se terminer, avec des inégalités sociales sans précédent. Tout ça est restitué avec soin, de la saleté des rues de Kamurocho à la mode, la musique, et une incroyable attention aux détails.
Au fil des épisodes de la série, j’en ai beaucoup appris sur le Japon et sa culture, ses villes, sa cuisine, même quelques mots et expressions, ce qui me donne l’agréable impression de joindre l’utile à l’agréable.
Premier contact
Enfin, je vais terminer sur un petit avertissement, car malgré mon amour désormais sans bornes pour la licence, le premier contact fut pour le moins rugueux. Quand j’ai lancé le jeu, j’ai d’abord trouvé ça daté et rigide : les mouvements du personnage sont d’un autre âge, on passe son temps à se cogner dans des morceaux de décor qu’on devrait pouvoir pousser ou renverser et la caméra est tellement coincée sur son axe vertical que j’avais l’impression de me promener avec une minerve.
Les premières heures sont déconcertantes : Les cutscenes sont incroyablement longues et les dialogues ne proposent aucun choix. On alterne entre cinématique pré-calculée, dialogues en temps réel et roman-photo chelou. La carte est bloquée de partout par des murs invisibles, on ne comprend pas trop comment ça marche et le design est tellement aux antipodes de ce à quoi le game design occidental m’a habitué que je me suis pris comme un gros choc culturel.
Le ton est très bizarre aussi avec des tutos maladroits qui se mélangent au début de la trame principale et une histoire qui décolle très mollement. Ah oui, et le premier personnage que vous rencontrez vous emmène faire du Karaoké.
Et puis ça finit par s’ouvrir et se développer jusqu’à ce que le scénario décolle vraiment au bout d’une heure et demie environ. Yakuza, c’est comme le vin : le premier contact peut être un peu râpeux, mais laissez-lui le temps de vous conquérir et vous n’en sortirez pas indemne.