Diablo a popularisé un genre dont Diablo 2 est devenu la pierre angulaire. C’était un hymne au loot et à l’optimisation, avec d’incroyables possibilités de personnalisation qui compensaient la répétitivité de son end-game et a permis à des millions de camés d’y sombrer corps et âme durant de nombreuses années. Puis, Diablo 3 a violemment chié dans la colle et suscité un gros schisme de la communauté.
Beaucoup d’autres titres ont tenté d’émuler, recopier ou décliner la recette avec plus ou moins de succès, comme Titan Quest, Torchlight ou Grim Dawn. Mais aucun n’est à mon sens allé aussi loin que Path of Exile. Reposant sur les acquis de Diablo 2, Path of Exile ressemble à une sorte de… “Diablo 2.5 : La suite rêvée”. C’est un concept naturellement sujet à débat et sur lequel je ne me sens pas assez pertinent pour me prononcer.
Pourtant, j’ai toujours eu une certaine affection pour ces looter-slashers, et une indéniable vulnérabilité à leurs mécaniques addictives. Pour cette raison, je me forçais à cesser d’y jouer après quelques heures, de peur de devenir dopaminomane et sombrer compulsivement dans une boucle de gratifications incessantes.
Le premier contact avec Path of Exile m’en a mis plein la vue :
■ Visuellement, le jeu est remarquablement propre et techniquement impressionnant pour un titre sorti en 2013 avec notamment des éclairages dynamiques et de belles ombres portées.
■ Tout évoque Diablo : caméra, rythme des combats, sound design, balai dans le cul de mon personnage, ou plus généralement : une certaine raideur dans les animations et le gameplay, quand on vient de Diablo 3.
■ Mécaniquement, tout a l’air très solide, l’action parait lisible, le personnage répond bien et c’était certainement très impressionnant il y a dix ans.
■ Les ennemis ont du répondant et peuvent vous tuer très rapidement. Et ça, c’est un vrai délice quand on vient de Diablo 3 dont le défaut le plus rédhibitoire était de n’offrir aucune forme de challenge du début à la fin de sa campagne soporifique.
■ L’ambiance est sombre et sale, tous les dialogues sont doublés, c’est du bon boulot. Il y a une réelle ambiance et on renoue avec l’horreur médiévale de Diablo 2, ses petites envolées de gore et son monster-design parfois dérangeant.
■ L’UI est assez laide et fait un peu amateur, comparé au reste, mais le jeu est suffisamment ergonomique pour qu’on le lui pardonne.
Après quelques heures, Path of Exile commence à dévoiler ses systèmes et beaucoup d’autres qualités. Pour commencer, on a reproché à Diablo 3 le manque de profondeur de la progression de personnage. PoE a largement sur-compensé : son arbre de talent… il faut le voir pour le croire. C’est l’une des abominations les plus absurdes qu’il m’a été donné de voir dans un jeu, mais dans le bon sens du terme !
Le bousin est d’une complexité et d’une densité effroyable et beaucoup de joueurs suivent un guide sans se poser trop de questions. Mais la réelle beauté de la chose est qu’il s’agit d’un arbre unique à tous les personnages. Votre classe détermine uniquement votre point de départ, mais rien n’empêche un mage d’aller cherche des skills de rôdeur ou de barbare. Cela ouvre des possibilités de personnalisation virtuellement illimitées.
La gestion de l’équipement est dans la même veine : chaque pièce d’équipement peu avoir des socles sur lesquels mettre des gemmes, qui sont vos compétences actives ou passives. Vous avez bien entendu : en plus de ne pas avoir de classes figées, vos sorts et capacités dépendent de gemmes que vous obtenez en jouant et placez sur votre matos.
Là où le système se complexifie, mais prend aussi toute sa saveur, c’est que les gemmes ont des couleurs, de même que leurs socles. Certains socles sont interconnectés et ces interconnections permettent aux gemmes de support d’interagir avec les gemmes de compétences et de booster vos sorts.
Par exemple, une gemme de support peut ajouter des dégâts de poison sur des attaques physiques, si vous la placez sur un socle connecté à une gemme compatible. Notez aussi que certaines gemmes ont des pré-requis de statistiques, ou sont réservées à un type d’armement. Notez aussi que certains objets permettent de modifier le nombre de socles d’un objet, leurs couleurs, et même leurs interconnections.
Cela rend l’acquisition de matériel infiniment plus riche et intéressante, mais aussi un peu laborieuse, parce qu’il y a tellement de combinaisons et de facteurs à prendre en compte que ça en devient vite écrasant.
Et si ça ne suffisait pas, le système économique s’affranchit des pièces d’or de Diablo 2 et des multiples tokens de Diablo 3 pour… faire son propre de truc. Vous récoltez des bouts de machins qui se combinent pour former des bidules. Ces bidules peuvent être au choix :
– Utilisés pour faire évoluer votre équipement
– Échangés contre de l’équipement auprès des NPC
– Revendus pour obtenir d’autres bouts de machins (voir des bidules d’un autre type, dans le meilleur des cas)
Les premières heures m’ont vivement emballé : un gameplay solide et précis, des systèmes touffus et complexes laissant présager le meilleur pour la custo à haut niveau, et une pléthore de contenu pour pas un rond. Malheureusement, ces rouages bien huilés finissent par se gripper :
■ L’arbre de talents offre des millions de possibilités, et pour en tirer parti, on devrait pouvoir se re-spécialiser librement comme dans Diablo 3. Au lieu de ça, vous avez une monnaie assez rare permettant de vous rembourser un point. Mieux vaut savoir exactement quel build vous voulez faire avant de vous lancer, et vous y tenir, car il n’est pas évident de revenir en arrière. J’imagine qu’il y a des solutions à plus haut niveau, mais pendant mon leveling, j’ai été choqué par cette rigidité.
■ Le manque de flexibilité de l’arbre de talents se répercute sur la gestion de l’équipement. Une fois que vous avez commencé à investir dans des mécaniques particulières ou un certain type d’armes, les restrictions d’équipement se multiplient. L’euphorie des débuts où on joue à l’apprenti sorcier avec les gemmes s’enlise alors dans une routine où vous comparez rapidement tous les nouvelles pièces avant de les jeter de côté.
■ Le jeu est techniquement impressionnant, mais artistiquement raté. Les premières zones ont du caractère, et certains des chapitres suivants sont plaisants, mais c’est terni par beaucoup de zones laides ou peu inspirées, avec des assets et des ennemis génériques. Le problème est que peu d’endroits ou de créatures sortent du lot et tout finit par se mélanger. On parcourt ces larges environnements mécaniquement, sans jamais laisser échapper un “Oh” ou un “Aah” comme ça m’arrive à intervalles réguliers sur les hack & slash de Blizzard.
■ La campagne est d’une longueur insondable quand on y joue la première fois, avec une courbe de difficulté bancale. Passé la première heure, et une fois que j’ai eu une armure sur le dos, la difficulté s’est envolée. Les actes I à III sont passés comme une lettre à la poste et je roulais à peu près sur tout ce que croisais, boss compris. Puis, l’acte IV se réveille et commence à m’en mettre plein la gueule. C’est certainement lié au fait que je n’avais pas changé mon équipement depuis des lustres à ce stade.
■ A l’usage, le jeu n’est pas aussi lisible et calibré qu’un Diablo. Il manque toutes sortes de petits feedbacks pour rendre les choses plus confortables. Je ne sais jamais combien j’ai d’invocations à l’écran, mon totem se noie dans la masse d’ennemis et je ne sais pas non plus s’il est apparu ou non. Il fait souvent noir, certains effets de sorts sont quasiment invisibles et globalement… c’est le bordel. Diablo 2 et 3 parviennent à rester étonnamment lisible malgré l’avalanche de sorts et de VFX à l’écran, tandis que PoE devient difficile à suivre.
■ Le rythme s’amollit peu à peu, au fil des actes, la faute à un temps sans cesse grandissant entre les niveaux et la sensation de ne plus du tout avancer dans l’arbre de talents. Entre ça et la routine qui s’installe parce qu’on ne peut pas changer de spécialisation et que toutes les zones finissent par se ressembler, le jeu m’est doucement tombé des mains. La sortie imminente de Diablo 4 n’y est pas pour rien.
La plupart des F2P sont d’abominables machines à sous qui se nourrissent des moindres faiblesses de nos psychés pour traire un maximum de pognon de ses joueurs les plus vulnérables.
C’est un modèle économique prédateur par essence, dont les pratiques délétères ont été largement documentées, et qui se font régulièrement tacler par la justice dans les pays qui ne sont pas encore assez libéraux pour en avoir quelque chose à secouer.
Mais ce n’est pas une fatalité : Path of Exile entre au panthéon des Free-to-play les plus gratuits auxquels il m’a été donné de jouer, aux côtés de Guild Wars 2 dans lequel il est aisé d’oublier complètement l’existence des micro-transactions.
De la même manière, PoE vous donne librement accès à une quantité absurde de contenu. Durant mes 20 heures de jeu, il n’est jamais venu me solliciter, me guider vers ses transactions payantes, m’inciter à acheter du confort, ou me rappeler que ce serait sympa de lui filer un peu de pognon. C’est à tel point que – comme sur Guild Wars 2 – j’ai fini par me sentir un peu redevable et suis allé voir spontanément ce qu’ils vendaient, histoire de payer mon ardoise. Je n’ai rien trouvé d’alléchant pour mon niveau d’implication.
Path of Exile est une version beaucoup plus profonde, complexe et aboutie de Diablo 2, dont il copie allègrement les fondamentaux du gameplay et pas mal d’autres éléments (HUD, son, visuels). Les deux jeux partagent une rigidité de build et une gestion de l’équipement qui donne mal à la tête, sauf que PoE va BEAUCOUP plus loin, jusqu’à en devenir assommant ou fascinant, selon vos affinités avec le genre.
Si votre endurance au grind est aussi limitée que votre amour du loot, Path of Exile montrera vite ses limites. Ce n’est ni son histoire, ni son univers de dark fantasy générique et un peu moche qui vous donneront envie de le relancer.
Pour les autres, il offre des milliers d’heures d’expérimentations de build insensée. Il vous permettra de créer des synergies et des réactions en chaîne de sorts et d’auras dont la communauté continue encore d’explorer la richesse. C’est une lettre d’amour à Diablo, un modèle de réserve dans l’implémentation de son modèle économique, et une belle pierre sur l’édifice du Hack & slash.