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Greedfall │ ★ 7

Après m’être vaguement ennuyé sur la beta de New World, j’avais encore soif de mousquets et de tricornes mais n’étais pas prêt à remettre le couvert pour quelques centaines d’heures de plus dans la même forêt, à refaire en boucle les mêmes quêtes consistant à tuer les mêmes ennemis pour ouvrir les mêmes coffres.

Alors quand je me suis souvenu de l’existence de Greefall, sorti deux ans plus tôt et dont les critiques mitigées m’avaient jusqu’à présent découragé, j’ai décidé de franchir le pas.

S’agit-il d’une de ces petites pépites méconnues, affublées de notes contrastées mais vouées à un glorieux avenir d’oeuvre culte, à l’image d’un Vampire Bloodline et autres Alpha Protocol ? C’est avec l’enthousiasme un peu crétin de l’anti-conformiste triomphant que j’ai mis les deux pieds dans le plat, sans trop savoir quoi dans je m’embarquais. Me serais-je embarqué si j’avais su ce qui m’attendait ? C’est une question à laquelle ce test ne répondra pas.

World Building de luxe

Greedfall était effectivement le jeu idéal pour assouvir ma soif de tricornes, de mousquets et de manteaux de cuir. Il affiche la même esthétique que New World, avec un moteur moins moderne mais une direction artistique beaucoup plus affirmée et bien plus de variété dans les environnements. En outre, les deux se déroulent sur une île fraîchement découverte où les colons seront confrontés à des phénomènes surnaturels liés à un volcan. Vu les dates, il est difficile de dire avec certitude qui a copié sur qui.

Nous sommes donc sur du baroque Européen façon conquistadors et on va vous faire rejouer la colonisation espagnole des Amériques en changeant les noms et en ajoutant une bonne couche de magie et de mysticisme indigène.

Et c’est de loin la plus grande force du titre : la richesse de l’univers, l’histoire des factions et comment leurs cultures s’entrechoquent est un terreau fertile pour raconter toutes sortes d’histoires et vous pousser à en apprendre plus sur les forces en présence et les mystères du nouveau monde. Vous enquêtez également sur les natifs et leurs croyances afin de découvrir l’origine de l’épidémie galopante qui décime le vieux monde que vous avez laissé derrière vous.

Souffler le chaud et le froid

Premier contact avec Greedfall : c’est vraiment pas joli. La création de votre avatar vous confronte directement à la faible variété de visages moches que le jeu aura à offrir, et les scènes suivantes ne feront qu’enfoncer le clou. Les NPC sont laids, affichent des dentitions effrayantes et le rendu semble dater de 2016 plutôt que 2019.

Second contact avec Greedfall : Wow, c’est vraiment beau. La première ville que vous visitez en met plein la vue, et les suivantes mettront la barre encore plus haut. Un peu plus tard, ce sont les extérieurs qui m’ont agréablement surpris avec une très belle végétation, des lumières flatteuses et des teintes excessivement sépia dont je ne raffole pas mais qui donnent clairement un cachet visuel au titre.

Dans l’ensemble, je trouve le titre très agréable à l’oeil, particulièrement dans les rues des villes et les décors naturels. Les intérieurs urbains, c’est une autre histoire mais vous n’y passerez pas beaucoup de temps, donc c’est un moindre mal. Les personnages resteront moches, mais on s’y fait. J’y allais en sachant qu’il s’agissait d’un RPG Spiders, un développeur connu pour ses productions à petit budget, et visuellement, Greedfall s’est avéré bien supérieur à mes attentes mesurées.

Gestion de budget

Et tant qu’on parle de petit budget, c’est là que les choses se gâtent un peu. Alors que certains jeux tirent le meilleur parti d’un temps de développement limité ou d’un budget modeste en capitalisant sur leurs forces et en sachant couper là où ça ne fait pas trop mal, Greedfall semble avoir eu les yeux plus gros que ses moyens.
Spiders a voulu faire un énorme RPG, avec la même ambition qu’un Witcher ou un Elder Scroll mais une fraction de leurs ressources : un énorme monde ouvert, plusieurs capitales, des tonnes de villages et de bâtiments à explorer, des paysages luxuriants et variés. Rien que ça. Alors forcément, il a fallu faire des concessions, et la première, c’est le copier-coller.

Il y a 4 châteaux dans le jeu et tous ont exactement le même intérieur, avec le même agencement de pièces et les mêmes tableaux placés à des endroits différents. Ces 5 ou 6 tableaux, j’espère qu’il vous plairont car vous allez les revoir dans tous les bâtiments du jeu, à tel point qu’ils sont parfois en double dans un même couloir.

Il en va de même pour tous les intérieurs du jeu, au nombre très limité, que vous allez revoir encore et encore. Pour tout le jeu (et on parle d’un énorme RPG de 50h), il y a un seul intérieur de maison que vous verrez utilisé une quinzaine de fois, un seul entrepôt, une seule caserne, une seule auberge, et tout ça est dupliqué jusqu’à la nausée avec au mieux des petites variations de mobilier.

Mais le plus frappant, c’est quand vous commencez à explorer les villages des natifs, parce qu’il y en a un paquet et tous ont la même hutte centrale avec la même porte et le même intérieur. Mais où est passé l’argent ?

Rends l’argent !

L’arrivée à San Mattheus, l’une des capitales du jeu, m’a particulièrement impressionné. J’ai d’abord découvert les premiers bâtiments de loin, et à mesure que je m’approchais, la cité a commencé à remplir l’horizon. J’ai atteint les remparts en traversant une zone agricole, convaincu que je ne pourrais en explorer qu’une fraction, mais non, on peut vraiment se balader un peu partout, des quartiers commerçants à la place principale en passant par le port.

C’est un joli tour de force, mais l’illusion ne fait malheureusement pas effet bien longtemps quand on se rend compte que ces énormes décors bourrés de détails manquent singulièrement de vie. Vous traversez des marchés sans aucun vendeur ni clients, des terrasses de restaurants où personne n’est attablé, et les quelques badauds qui sillonnent les rues semble y errer sans but et n’aller nulle part.

On a donc de très beaux environnements qui ressemblent bien plus à des décors qu’à de vrais endroits, et c’est d’autant plus dommage que ce gigantisme n’est justifié ni par le gameplay ni par l’histoire. Chaque ville n’a plus qu’une poignée de points d’intérêt et leur taille a pour seule conséquence de vous faire courir longuement d’un endroit à un autre, en traversant sans cesse les mêmes rues et avenues qui se ressemblent un peu trop pour parvenir à s’y repérer.

Et narrativement parlant, rien n’aurait empêché de placer l’histoire quelques années plus tôt, quand la colonisation n’était pas encore aussi avancée et les villes en cours de construction. On aurait eu un mélange de campements et de bâtisses en pierre pour des environnements plus resserrés, moins chers à produire, plus facile à peupler et moins pénibles à arpenter.

Et accessoirement, tout le pognon gaspillé dans ces grandes villes fantômes aurait été bien mieux investi dans la variété des intérieurs… et des ennemis.

Brigands, loups-garous et chauve-souris

Dans New World, je me plaignais de toujours combattre des morts-vivants et des animaux. Dans Greedfall, vous combattez des béliers, des sortes de loups garous, des brigands et des chauve-souris (paradoxalement l’ennemi le plus dangereux du jeu). Le bestiaire est très limité et tourne vite en rond, d’autant plus que le gameplay ne change pas spécialement d’un ennemi ou d’un combat à un autre.

Par conséquent, ce n’est certainement pas pour ses combats que vous allez continuer de jouer à Greedfall. Ils sont raisonnablement dynamiques et je ne les ai jamais trouvés désagréables, j’étais même agréablement surpris par leur dynamisme, durant les premières heures, mais le jeu est juste beaucoup trop long pour ce que son système de combat peut offrir et vous aurez largement le temps de faire le tour des builds et des armes et commencer à tourner en rond.

Heureusement, il est assez facile de s’équiper et de changer de spécialisation, ce qui m’a permis de toucher un peu à tout et de me rendre compte que ça ne changeait finalement pas grand chose : dans tous les cas, vous allez frapper, esquiver, parer et mettre des cartouches dans tout ce qui passe, en utilisant les potions de vie virtuellement illimitées qui rendent tout ça assez trivial, et en gardant les autres consommables pour les rares boss qui viendront apporter un peu fraîcheur.

Et quand on ne se bat pas, on fait quoi ?

Quand j’ai lu que le jeu était trop long, je m’attendais à pas mal de remplissage avec des tetra-chiées de combats inutiles comme dans Dragon Age (que j’ai aimé malgré ça… mais que je ne referai certainement jamais pour cette même raison) qui était capable d’aligner 5h de dongeons et de combats pour étoffer sa durée de vie.

Ici, attendez-vous à beaucoup de marche à pied, beaucoup de dialogues, beaucoup d’histoires, trop d’aller-retours et encore plus d’histoires. Non seulement les quêtes ont peu de combats, mais en plus vous pouvez zapper une bonne partie des affrontements grâce aux compétences sociales, comme le charisme ou l’intuition, l’infiltration, ou juste en continuant de courir jusqu’au reset d’aggro. Merci !

L’infiltration, tant qu’on y est, est minimaliste et incroyablement permissive. A moins d’aller danser devant un ennemi, il est vraiment impossible de se faire repérer quand vous vous baladez accroupis et… c’est très bien.
L’infiltration est un gameplay généralement raté dans les jeux dont ce n’est pas la spécialité, et je préfère largement de l’infiltration facile à des séquences frustrantes qui donnent envie de s’arracher les yeux (Life is Strange, Bloodlines, GTA, The Witcher 2, Spiderman, Uncharted 2… la liste est longue)

Quality of Life

Le jeu respecte aussi votre temps en mettant des téléporteurs dans tous les coins : dans les camps, dans les villages, à chaque transition de zone, dans vos appartements, et j’en passe. Chaque feu de camp vous permet de vous téléporter mais aussi de rassembler vos compagnons pour reformer le groupe.

A chaque changement de région, vous passez par une petite zone de transition équipée d’un feu de camp, d’un coffre, une table d’artisanat et d’un marchand et qui vous permet donc à tout moment de vous occuper de toute la partie gestion du jeu au même endroit. Pas besoin de courir dans tous les coins à la recherche de vos objets dispersés aux quatre vents ou de vos compagnons abandonnés dans une autre ville. C’est l’équivalent du campement de Dragon Age Origins, en plus petit, plus pratique et beaucoup plus fréquemment accessible.

Il y a même des moments où le jeu vous propose carrément de vous téléporter à la prochaine étape d’une quête, plutôt que vous laisser courir sans fin dans de grands décors vides. C’est génial, mais si seulement ça arrivait plus souvent…

Parce qu’il y a des fois où ça n’a pas beaucoup de sens. Je commence au village Blep. Siora me dit “Allez viens, on va enterrer ma mère, ça va être fun”. On arrive dans la grotte sacrée. Siora : “Bon, voilà la liste de courses pour l’enterrement, tu peux tout trouver au village Blep”. FOUTAGE DE GUEULE ?
Je retourne au village (c’est chiant, y a pas de feu de camp à proximité de la grotte). J’achète ses merdes et là Siora me dit “Allez, on se TP à la grotte”. Cutscene, fin de la quête. Pourquoi tu m’as pas TP les deux fois, connasse ?

Lady de Sardet

Heureusement que le jeu respecte votre temps, car il m’aura fallu 50h pour en venir à bout. J’ai lu qu’on pouvait courir d’un bout à l’autre de la quête principale en 23h, mais vous raterez toutes les quêtes de loyauté de vos compagnons et une bonne partie du world building, donc je ne suis pas sûr que ça vaille vraiment le coup. Ceci dit, j’aurais préféré un peu moins de rebondissements et un peu plus de concision car c’était au moins 20h de trop.

Vous jouez Lady de Sardet (ou son équivalent masculin, si vous vous êtes trompé d’option), une diplomate de la congrégation des marchands envoyée sur l’île de Teer Fradee pour épauler son cousin, le nouveau gouverneur. Vous devrez restaurer l’ordre entre les factions en guerre et percer les secrets mystiques des tribus natives dont les rituels païens attisent autant de convoitises que les richesses de leur habitat.

Plusieurs factions vont ainsi s’affronter pour le contrôle des ressources : The Bridge (technocrates à turbans), Theleme (fanatiques religieux et leur inquisition), The coin guards (une guilde de mercenaires dont les autres factions emploient les services pour assurer leur sécurité), les Nauts (navigateurs aux looks de corsairs et aux tatouages hideux) et trois factions de natifs (les guérilleros, les collabos et les hippies).

Et bien sûr, on a la Congrégation des marchands qui bouffe à tous les râteliers et que personne ne respecte, même si tout le monde prétend leur être allié. Autant dire qu’en tant que responsable des relations diplomatiques de la congrégation, vous n’aurez pas le job le plus facile du monde, surtout quand vous déciderez de la mettre à l’envers à tout ce beau monde pendant que vous prétendez agir dans l’intérêt de la colonisation.

Le système de réputations couplé à la richesse de l’univers et de cet écosystème de factions m’ont vendu de belles promesses, mais c’était sans compter sur la médiocrité de l’exécution.

Réputations et poudre aux yeux

Vos choix font évoluer votre réputation auprès de chacune des factions et de vos compagnons (qui appartiennent eux-même à diverses factions). C’est très prometteur mais comme dirait notre Macron national, c’est de la poudre de perlimpinpin.

Durant ma partie, j’ai fait tout mon possible pour aliéner au maximum Theleme. D’abord, parce que ce sont des connards, mais aussi parce que j’étais curieux de savoir ce qui se passerait s’ils devenaient “hostiles”. Est-ce que je pourrais encore visiter leur capitale ? Est-ce que les NPC allaient m’attaquer à vue ? J’ai pris toutes les décisions en leur défaveur, tué un maximum de leurs concitoyens tout en multipliant les coups de couteau dans le dos quand j’en avais l’occasion, mais ça ne fonctionne pas car la quête principale a besoin d’eux, alors mon personnage ne se montre jamais vraiment hostile pendant les custscenes.

Même chose pour The Bridge. On était partis sur de bonnes bases mais ils m’ont trahie et failli me faire tuer deux fois. Alors j’ai manoeuvré contre leur influence sur l’île, trucidé leurs soldats et j’ai même trafiqué des élections indigènes pour faire élire le leader le plus vindicatif pour que les escarmouches se transforment en une guerre ouverte. Malgré tout, à la fin du jeu, on finit en réputation “amicale” et mon perso leur lèche le cul sans me permettre d’être ouvertement hostile.

Le petit budget et la duplication d’intérieurs, c’est vite oublié, mais quel gâchis d’avoir un système de réputations si c’est pour ne pas s’en servir. Finalement, les rares choix qui ont un impact ont une résolution en coulisse à la fin du jeu, le temps d’une image et d’une ligne de texte. Je pense que j’aurais plus apprécié le jeu si j’avais su dès le début que ce n’était pas du tout un jeu à choix et qu’il y avait aucun embranchement narratif possible contrairement à ce que les systèmes suggèrent.

Plus linéaire qu’il en a l’air

Et qu’on ne vienne pas me dire que ça coûte trop cher d’avoir un système de réputation qui sert à quelque chose. Greedfall a des heures de dialogues d’exposition pas très utiles (genre “Pourquoi est-ce que vous vivez dans ce village isolé ? – Ah, je suis content que tu demandes, laisse moi te raconter l’histoire de ma vie et mon exil tragique.”) qui auraient pu être utilisées pour refléter des changements plus drastiques de nos allégeances.

Dans le même catégorie, Alpha Protocol, sorti en 2010, est moche à pleurer, le personnage se pilote avec la grâce d’un semi-remorque et les NPC sont affreux. Tout budget est parti dans l’écriture et les embranchements narratifs, avec un système qui s’adapte aux choix du joueur. Je n’en demandais pas tant à Greedfall, loin de là, mais pouvoir au moins choisir avec qui je veux m’allier et avoir un quelconque résultat, c’était le minimum syndical.

C’est d’autant plus dommage que toutes les quêtes et petites histoires sont liées au monde, mais souvent déconnectées les unes des autres, donc on aurait pu permettre de bouder une faction et adapter les réactions de ses NPC. Une partie des quêtes deviendrait inaccessible ou impossible à terminer, mais ça n’aurait pas empêché de finir le jeu.

J’aurais adoré pouvoir me retrouver dans une situation d’impasse diplomatique où j’aurais perdu un allié, avec des conséquences sur le dénouement de l’histoire. Mais là, je me suis allié aux natifs, j’ai comploté pour mettre au pouvoir leur chef de guerre le plus barbare en l’encourageant à aller trucider tous les étrangers, je me balade avec des fringues en peau et des colliers en os, en compagnie d’une shaman de leur tribus. Et pourtant, les leaders ennemis m’accueillent comme si tout était normal en me servant du “Lady de Sardet !”

Et encore, j’ai eu du bol de vouloir m’allier aux natifs car c’est dans ce sens que va la quête principale et le jeu ne permet pas de jouer un envahisseur impérialiste et d’oppresser les populations locales. De Sardet restera une diplomate neutre quels que soient vos choix, ce qui n’a rien d’intrinsèquement problématique mais rend caduque l’existence du système de réputations.

Malgré toutes mes réserves, j’ai passé de bons moments sur Greedfall. Avec une meilleure gestion de leurs budgets et priorités, il y avait de quoi en faire un grand jeu, et ce sont toutes ces occasions manquées qui m’ont le plus frustré, plus que ses défauts réels. Dommage que le jeu fasse miroiter des promesses qu’il était incapable de tenir plutôt que simplement se débarrasser des systèmes inutiles.

La réalisation est très correcte, l’intégralité des dialogues est doublée, et malgré beaucoup de personnages oubliables, le jeu ne manque pas de personnalité. Prises séparément, toutes ses petites histoires sont sympa à parcourir, mais le fil conducteur censé donner de la cohésion à l’ensemble est médiocre, si bien que j’avais plus souvent envie d’avancer dans les histoires annexes que dans la quête principale.

Si vous êtes gravement en manque de RPG narratif, Greedfall est un candidat honorable si vous l’abordez avec des attentes mesurées. L’écriture est honnête et les quêtes à résolutions multiples maintiennent une certaine illusion d’interactivité. Mais si vous n’avez pas encore écumé les classiques de Bioware, Obsidian et CD Project, il y a beaucoup mieux à faire de votre prochaine cinquantaine d’heures.

7

7/10

Bonus : Le jeu des 8 différences

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