Yakuza 6 est le dernier épisode de la saga de Kiryu Kazuma, commencée en 2005 par l’équipe que l’on connaitra plus tard sous le nom de Ryū ga Gotoku Studio. Ils démontrent ici toute l’expertise acquise au fil de ces 11 années presque entièrement dédiée à cette série, et livrent l’épisode le plus émouvant et sincère à ce jour et un bel hommage à son héros.
Il s’agit d’une suite directe des 5 épisodes précédents et ne doit en aucun cas être joué indépendamment ou comme point d’entrée dans la série.
Quatre ans se sont écoulés depuis la sortie de Yakuza 5. Jusqu’à présent, les jeux avaient évolué graduellement : des textures plus fines, des animations plus fluides, des visages expressifs et des lumières plus crédibles, un système de combat qui s’étoffait rapidement et des menus qui changeaient à chaque épisode sans vraiment s’améliorer.
Yakuza 6 est la première vraie rupture, et représente un bond technologique avec un nouveau moteur graphique qui change beaucoup de choses.
Entre autre, les transitions entre intérieur et extérieur se font maintenant sans temps de chargement et entrer en combat ne verrouille plus les personnages dans une zone étriquées comme c’était le cas depuis les débuts de la série. Ces deux changements suffisent à renforcer l’immersion un grand coup et on a plus que jamais l’impression d’évoluer dans ces paysages urbains Japonais reproduits avec cette obsession du détail à laquelle nous a habitué le studio.
Héros chez moi
Ce n’est pas la seule raison pour laquelle on peut ressentir ce Yakuza comme un épisode de rupture. Kamurochō laisse place à une nouvelle ville : Hiroshima, pour le plus gros de l’aventure et se concentre sur toute une panoplie de nouveaux personnages.
Ainsi, si la plupart des visages connus comme Majima, Saejima, Akiyama, Daigo, Date ou Haruka répondent à l’appel, ils ne seront pas réellement au centre de l’intrigue qui se veut plus intime et centrée sur le personnage de Kiryu.
Avec ses 5 personnages jouables et son contenu titanesque, Yakuza 5 étoffait sa mythologie en renforçant la légende de tous ces héros en plongeant toujours plus profondément dans les luttes intestines du clan Tojo et leur éternelle rivalité avec Omi. A ce titre, Yakuza 5 opère un changement de ton radical mais que j’ai trouvé bienvenu.
Cet épisode est avant tout un adieu au personnage de Kiryu qui restera le pilier de l’intrigue et le centre de toutes les attentions du début à la fin. Pour autant, la nouvelle galerie de personnage est particulièrement bien écrite. Tous ont de multiples facettes et réservent leur lot de surprise. Même les seconds rôles les plus anecdotiques ont des motivations et viennent se connecter à la trame avec une justesse qui n’a cessé de me surprendre.
De l’amour et des bourre-pif
Attention, j’ai toujours apprécié l’écriture des Yakuza, mais je ne peux pas nier que c’est toujours un peu la même soupe, avec des manipulations de politiciens corrompus tirant les ficèles de mafieux sans scrupules, des sans-abris au grand coeur, des guerres de clans avec des trahisons à ne plus savoir qu’en faire et surtout des relations père-fils totalement dysfonctionnelles.
Bien sûr, tout ça se termine en duel de regards et grosses torgnoles au sommet de la Millenium Tower une fois que tout le monde a arraché sa chemise pour exhiber ses tatouages.
Et il y a tout ça, dans Yakuza 6, mais les méchants sont moins méchants que d’habitude et les héros pas toujours aussi nobles. On est bien plus dans les nuances de gris que les standards de la série et même les plus farouches antagonistes font preuve d’une profondeur touchante à laquelle je ne m’attendais pas.
On sent une vraie maturité dans l’écriture et même si tout n’est pas rose, avec des personnages féminins toujours en retrait (et toujours en détresse) ou des clichés tenaces (le Japon n’étant pas le pays le plus progressiste qui soit), les scénaristes ont tout donné et ça ne présage que du bon pour la suite.
Ceci dit, pour citer Kiryu : “Sometimes, it’s easier to let your first express how you feel”, donc toute cette sincérité et cette maturité ne saurait vous empêcher de dégainer vos muscles tatoués pour la distribution de châtaignes.
Kiryu au sommet de son Art
Le combat a eu droit à un joli lifting mais ne perd rien de son extravagance. Ainsi, vous pourrez toujours exprimer votre créativité en fracassant des vélos sur tout ce qui vous regarde de travers, mais les impacts sont plus fracassants, les corps et décors volent et rebondissent dans tous les sens sans trop se soucier de la gravité.
Si vous venez de Yakuza 0, vous serez soit frustré soit soulagé de troquer les 4 styles de combat contre une unique panoplie de mouvements mais le système d’EX s’enrichit pour apporter de nouvelles subtilités tout en retrouvant un côté plus direct et spontané qu’on avait un peu perdu au fil des itérations.
Les boss ont toujours été un sujet assez délicat dans le design des Yakuza car les développeurs ne savent jamais créer du challenge autrement qu’en les immunisant à tout et en leur permettant de caser nos combos.
D’un point de vue strictement systémique, on a toujours rien de fantastique mais je ne les ai jamais trouvés frustrant ou pénible (Kiwami 1, c’est de toi qu’on parle) et la mise en scène incroyable vous fera vite oublier leurs lacunes.
Tout ça donne lieu à un ballet brutalement jouissif qui ne m’a jamais lassé au fil de la trentaine d’heure que j’ai passé sur le jeu.
Pas le temps de niaiser
Yakuza 6 est deux fois plus courts que le 5, avec un seul personnage, deux villes et une trame beaucoup plus ramassée et moins touffue qu’à l’accoutumée.
Ce n’est pas un mal, d’autant que le rythme est globalement plus soutenu avec des moments de calme et de contemplation mais une tension qui monte inexorablement jusqu’au final et une sensation d’urgence renforcées par des enjeux dramatiques plus personnels.
Yakuza 6 va droit au but, tandis que le 5 offrait une montagne étourdissante de contenu annexe (conduite de taxi, chasse à l’ours, carrière d’idole, baseball et j’en passe). Ici, s’il y a quelques activités à se mettre sous la dent, on est plus tenté d’avancer dans l’histoire et trop de distractions auraient certainement desservi le propos (que celui qui n’a pas peiné à suivre l’histoire du 5 me jette la première pierre).
Malgré son plus petit format, c’est narrativement l’un des épisodes les plus riches jamais produits avec une quantité affolante de dialogues (tous doublés), de rebondissements et d’intrigues qui s’entrecroisent et montent en puissance pour finir en un festival de mandales et de muscles en sueur.
L’équilibre est préservé
Fidèle à la formule qui en a fait le succès, on a toujours ce décalage entre le sérieux imperturbable de la trame principale et le n’importe quoi absolument foutraque des histoires annexes.
Ici encore, on privilégie la qualité sur la quantité avec un petit nombre d’histoires extrêmement soignées : drôles, bien écrites, avec leur lot de cutscenes entièrement doublées.
Les activités sont toujours aussi stupides et absurdes et je m’en pourrais en faire l’inventaire ici mais je pense qu’il est bien plus agréable de se laisser surprendre. Je citerai quand même le Cat Bar, l’irruption improbable de FMV dans les cybercafés (digne successeur du Telephone Club de Zero) et le “Clan Creator”, variation du Tower Defense en mode Yakuza.
Yakuza 6 est-il le meilleur épisode de la série ? D’un point de vue fonctionnel, très certainement : les combats n’ont jamais été aussi percutants, le rendu visuel atteint des sommets qui n’ont pas encore été dépassés en 2021 et les activités annexes, quoique moins touffues que dans le 5, sont toutes très bien réalisées.
Pour ce qui est de l’écriture, Yakuza 0 a mis la barre à une hauteur insurmontable mais cet épisode n’en est pas moins épique, viscéral et poignant. L’histoire sait faire preuve d’autant de coeur que de force, à la hauteur de Kiryu. Tu vas nous manquer, Kazuma.