Après 7 épisodes de Yakuza entre 2005 et 2012, Sega retire enfin la bride de RGG et leur permet brièvement de faire autre chose. A l’époque, leur série phare est encore largement confidentielle et le studio souhaite élargir son audience avec un blockbuster à la Capcom, un héros badass américain et un gameplay alors très en vogue.
Le dernier Yakuza, Dead Souls, était une expérience un peu ratée dans la veine de Resident Evil, où les héros de la série se retrouvaient en pleine apocalypse zombie et troquaient les patates contre des boulettes. Malgré une réception critique mitigée, le jeu fut un relatif succès commercial, et je peux imaginer Sega avide de surfer sur cette demi victoire en mettant le studio au charbon sur un titre plus grand public.
Nagoshi en veut, Sega y croit à mort et le marketing va bon train. En France, on découvre le jeu par une bande-annonce dont beaucoup se souviennent encore aujourd’hui. On y voit l’état-major américain en pleine réunion de crise et l’un des généraux intervient avec un accent marseillais à couper au couteau, comme on en entend sur les boulodromes entre deux Pastis.
Generic Cover-Shooter: The Game
Yakuza: Dead Souls était bien écrit et avait beaucoup de cœur. Mécaniquement, c’était un échec total, une caméra absurde, des sensations de tir médiocres, une UI d’un autre âge et un arsenal ennuyeux au possible. Ses boss étaient ambitieux, mais aussi pétés que le reste, et rien ne fonctionnait réellement. Binary Domain repose sur ces fondations branlantes, et ça se sent tout de suite.
A première vue, on est un cover-shooter tout ce qu’il y a de plus générique, comme l’a popularisé Gears of Wars quelques années plus tôt. A la tête d’une petite escouade de 3 commandos surentraînés, vous bondissez d’une couverture à l’autre en vidant des chargeurs sur des hordes d’ennemis mécaniques. “Générique” est certainement le premier mot qui vous viendra à l’esprit.
Pour autant, malgré une réal typique de la génération PS3 avec ses vieilles textures et des balais dans le cul de tous les personnages, le jeu ne manque pas d’atouts : la mise en scène explosive fait encore son effet, avec énormément de cutscenes dans le style outrancier des Yakuza, des boss absolument énormes, et un budget pyrotechnique digne de Michael Bay – Le tout sur la bande son survitaminée de Mitsuharu Fukuyama, le compositeur attitré du studio.
Boiteux mais généreux
N’y allons pas par quatre chemins : les combats sont médiocres, mais on y reviendra. Là où il brille particulièrement, c’est ce qui se passe entre ces séquences. RGG a mis le paquet pour casser la routine aussi souvent que possible. Alors certes, ça ne remplace pas un gameplay solide et profond, mais il y a de quoi s’amuser :
- Séquences d’infiltration à la nage
- Glissades contrôlées
- Poursuites en jetski
- Rail shooting en voiture
- Escalade de robot géant
et j’en passe pas mal d’autres.
Ces séquences sont uniques et ne seront jamais réutilisées par la suite, ce qui est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. C’est un choix de production audacieux, mais on commence à savoir que ça se passe rarement bien. Aucune de ces séquences n’est vraiment bien foutues, et on ne sait pas toujours exactement ce qu’on doit faire. Par exemple, je suis mort dans l’unique scène où on me demandait de pousser une caisse, car c’était la première fois que le jeu me permettait de pousser quelque chose, et c’était en plein milieu d’un boss.
Et tant qu’on parle de boss, ceux-ci sont logés à la même enseigne, tous très différents, utilisant une large panoplie de mécaniques uniques : attirer par le son un robot aveugle, péter des points faibles, utiliser une arme spécifique sur un ennemi volant, recharger une tourelle statique en plein combat, utiliser les coéquipiers pour des tâches spécifiques, etc.
L’innovation au prix de la finition
En plus de vous inonder de séquences uniques, le jeu développe aussi quelques idées originales, avec plus ou moins de succès. La principale innovation est un système de commandes vocales permettant de parler directement à vos équipiers en utilisant votre micro. Votre compagne, compagnon ou colocataire devra alors s’habituer à vous entendre gueuler ponctuellement “FIRE”, “REGROUP”, “ROGER”, ou “I LOVE YOU, BIG BO”.
En plus des ordres en combat, de fréquents dialogues interactifs peuvent être contrôlés par le micro et permettent de créer des liens avec vos équipiers. Ces conversations sont reliées à un système de réputation basique influent sur la manière dont vos ordres seront obéis. Je ne suis jamais tombé assez bas pour confirmer que ça marche vraiment.
Tout ça, c’est formidable sur le papier, mais dans les faits, la reconnaissance audio marche si mal que j’ai fini par la désactiver, les choix de dialogues ont un impact limité, et vos équipiers sont tellement mauvais que la menace de les voir désobéir aux ordres ne pèse pas bien lourd. Mais quand même, l’idée était fantastique.
Vous l’aurez compris, le jeu a beaucoup de cœur, mais se loupe à peu près partout. Et tant qu’on parle de se louper, abordons la core loop. Le plus gros de votre temps de jeu consistera à vous mettre à couvert pour tirer sur des Terminators. Les dégâts sont localisés et permettent de les aveugler ou les démembrer pour les ralentir. Il y a plusieurs archétypes plutôt sympa et c’est absolument tout le bien que je peux en dire.
- Les sensations de tir sont molles
- Les jeux à robots partent toujours avec un gros handicap, à moins de compenser avec des tonnes de particules. Ici, malgré les efforts de mise en scène, tirer sur de la ferraille n’est jamais satisfaisant
- Le système de couvertures n’est pas fiable et je me suis souvent retrouvé debout alors que je voulais me planquer
- Le blind fire est si peu précis qu’il en devient inutile
- Les armes secondaires sont globalement inefficaces
- Les ennemis manquent de variété
- La regen de vie automatique tue complètement le challenge
- Les upgrades sont tellement oubliables que j’ai vite cessé de m’en préoccuper
- La seule qualité du système de craft est qu’il ne vous fait pas perdre trop de temps
Mais le plus gros défaut des combats de Binary Domain, c’est qu’ils sont tous au moins deux fois trop longs. Les fusillades durent et s’étirent jusqu’à la nausée, avec des hordes interminables d’ennemis mécaniques, des renforts à n’en plus finir, et des boss bien trop résistant. Même les séquences spécifiques initialement réjouissantes s’éternisent jusqu’à en devenir pénibles, et malgré son petit format, le jeu aurait gagné à couper quelques heures.
Binary Marseille
Dans une ambiance de série B américano-Japonaise, avec des histoires de vilaine corporations, d’expériences illégales et des grosses explosions, on pourrait facilement se croire dans un Resident Evil. Heureusement, Binary Domain est mieux écrit que ça. Pas beaucoup, certes, mais suffisamment pour m’aider à tolérer les affres de son gameplay et me laisser porter d’une cutscene à l’autre jusqu’à son dénouement, en écoutant les héros se balancer des punchlines débiles.
J’avais très peu d’attentes, et j’ai été agréablement surpris par les thèmes abordés, allant de l’intelligence artificielle à ce qui définit l’être humain. Rien de très original, mais Binary Domain le traite avec une finesse inattendue, et plus de nuances que prévu. Au final, l’histoire s’avère intéressante et moralement ambiguë.
J’aimerais pouvoir en dire autant des personnages, mais on en est loin. Commençons par notre protagoniste aux bras surdimensionnés : brun blagueur et mal rasé, on le croirait tout droit sorti de Mass Effect ou Uncharted, ou plus généralement 80% des jeux d’action sortis entre 2010 et 2015.
Les autres personnages sont sous-exploités, car trop nombreux. On se serait avantageusement passé d’au moins deux personnages qui sont de toute façon abandonnés à mi parcours. La romance est d’une platitude à pleurer.
RGG ne sait toujours pas écrire des persos féminins. Je suis certain qu’ils essayent d’être progressistes avec une militaire téméraire et relativement capable, mais ça ne l’empêche pas de se transformer ponctuellement en damoiselle en détresse. Le jeu est bourré de misogynie ordinaire et de remarques gênantes qui ne m’auraient sans doute pas fait grincer des dents en 2012, mais n’ont pas bien vieilli.
Binary Domain est-il une perle méconnue ? Pas vraiment. C’est un jeu profondément imparfait, dont le cœur du gameplay est simplement mauvais. Mais il est si audacieux et généreux que j’ai du mal à lui en vouloir. Avec ses énormes boss, toutes ses séquences uniques et mal branlées, et sa mise en scène excessive, il fait vibrer quelques unes de mes cordes sensibles.
De manière générale, je préfère largement un jeu qui essaye beaucoup et se loupe, à un jeu chiant, mais bien exécuté comme un Shadow of the Tomb Raider, The Order, ou la plupart des Assassin’s Creed. Ce sont des jeux qui demandent une certaine patience, mais avec le temps, on finit par n’en garder que les bons souvenirs et oublier toutes leurs casseroles.