Doom 3 est un jeu qui mêle tellement de qualités enthousiasmantes et de défauts rédhibitoires qu’il m’est très difficile d’en faire une évaluation pertinente, même maintenant que j’en ai une vue d’ensemble.
Si je n’avais joué qu’à sa première heure, je lui aurais collé un 9, sans hésitation, et sans avoir de mal à le justifier : L’introduction est brillamment mise en scène, l’ambiance est étouffante à souhait, et le jeu est esthétiquement bluffant et techniquement impressionnant, même en y jouant avec des années de retard. Les premières séquences en milieu hostile sont franchement terrifiantes et les sensations de shoot aussi efficaces que grisantes, avec des impacts violents, des ennemis retors aux animations très fluides et aux comportements variés.
Mais… au-delà d’une heure, ça commence à se gâter. L’action se fait vite redondante, trop souvent frénétique, trop répétitive. Chaque séquence est comme… étirée, distendue au-delà du raisonnable, comme du beurre qu’on aurait étalé sur une tartine trop grande. On en vient à trucider des centaines et des milliers de mobs qui spawn de partout, à semer des kilos de douilles dans des environnements qui se répètent et ne se renouvellent que très rarement. Les enfilades de couloirs succèdent aux lourdes machines futuristes, d’autres couloirs, des bureaux, des labos, des couloirs et des labos.
Des labos, des couloirs et des labos
Les décors de Doom 3 souffrent du syndrome FEAR mais son level design aggrave encore les choses, car quand Fear alternait action et exploration, Doom 3 enchaine les combats non-stop et va crescendo dans la frénésie guerrière avec des groupes d’ennemis plus compactes, des mobs plus massifs, des apparitions par des pentacles démoniaques à n’en plus finir.
Ça apparait devant, derrière, dans les pièces adjacentes, ça réapparaît quand on revient sur nos pas, ça apparait derrière chaque porte qu’on ouvre et en même temps dans notre dos, des portes s’ouvrent sur les côtés à chaque couloir étroit, on se tape des milliers d’Imps et des troupeaux d’araignées qui apparaissent en file indienne pendant plusieurs minutes…. Waow, STOP !
Doom 3 ne sait pas s’arrêter, à tel point que l’ambiance magistrale distillée par ses décors durant le premiers moments s’envole en même temps que la peur et l’oppression et qu’il ne reste que les sursauts engendrés par certains scripts malicieusement placés, même quand ils recyclent toujours les trois mêmes ficelles.
Je vais en remettre une couche mais le jeu est très long. Il y a 26 niveaux dans lesquels on peut facilement passer une 40aine de minutes… ou plus ? Je n’ai pas vraiment compté mais j’ai l’impression que l’ensemble du jeu m’a englouti au moins 15 heures (c’est très long pour un FPS de 2004). Et vu les défauts précédemment cités, vous ne les ferez pas d’une ou deux traites, alors mieux vaut prévoir quelques jours, c’est un boulot de longue haleine.
Pour alourdir encore la facture, la progression est mal rythmée. Les premières heures passent lentement car on ne vous donne que très rarement de nouvelles armes, et les nouveaux ennemis sont assez rares aussi. Ces petites étapes censées briser la monotonie, vous pouvez faire une croix dessus arrivé aux 2/3 du jeu, puisque vous aurez accès à l’ensemble de l’arsenal pour atomiser l’ensemble du bestiaire.
Grosses pétoires et défouloir
C’est loin d’être mauvais pour autant, sinon pourquoi je l’aurais terminé ? Je l’ai dis, l’ambiance est terrible et les sensations sont pêchues. Mine de rien, il n’en faut pas plus pour avoir envie d’avancer. C’est tellement jouissif de décalquer de l’Imp au shotgun et de ponctuer chaque frag d’une bonne grosse détonation des familles, de mitrailler du démon ou de trancher du zombi à la tronçonneuse.
Parce que le bestiaire est sacrément enthousiasmant aussi. Hommage géant aux Doom old-gen, il reprend tous les antagonistes de la série dans une version moderne-gore-flippante extrêmement réussie, si bien qu’on reconnaît facilement tous les ennemis de l’époque tout en s’extasiant du luxe de détails de leur nouveau look, et de la capacité des chara-designers à capter l’essence du petit tas de pixel (bon, ok, ils devaient aussi avoir des artworks) pour en faire un truc crédible et effrayant.
Mais ce n’est pas juste pour leur look qu’ils sont cool, leurs comportements sont suffisamment variés et intéressants pour rendre les combats dynamiques et stressants. Certains bondissent au visage, d’autres approchent en se téléportant, d’autres chargent, certains attaquent à distance mais ripostent au corps à corps. Il y en a qui rampent et d’autres qui volent et quand certains passages mélangent un peu tous les types, on ne sait plus où donner de la tête et on passe son temps à changer d’arme à la volée pour éviter de recharger et avoir le meilleur flingue pour chaque ennemi.
Rapide, technique, brutal
Ce sont les trois qualités que j’attends d’un FPS.
Même si les décors ne se renouvellent pas assez, on veut en voir plus. Certains effets de mise en scènes, gores ou malsains sont vraiment réussis, certains gémissements de la trame sonore mettent mal à l’aise, à l’image des pleurs d’enfants mêlés à des bourdonnements ou aux cris de femmes indéfinissables qu’on entend aux enfers.
Parce que oui, on va aux enfers, et c’est sûrement l’un des meilleurs passages du jeu : sans rien chercher à inventer, ce niveau cristallise tout ce qu’on peut s’attendre inconsciemment à trouver aux enfers, à partir du tas de culture littéraire, biblique ou cinématographique qui traite du sujet : Du feu, de la lave, de grands édifices gothiques, des âmes torturées hurlant leur démence, des décors déstructurés flottant au milieu de l’abîme, une profusion de délires organiques glauques qui se mêlent intimement à l’architecture.
C’est particulièrement bien restitué, ça en met plein les yeux et même si ça ne surprend pas plus que ça, c’est très intéressant à arpenter.
Doom 3 n’est pas la tuerie qu’il aurait dû être et avec une aussi bonne base de gameplay, on aurait pu avoir une pure grosse référence du genre, un jeu viscéral, nerveux, terrifiant, mémorable… si les level designers n’avaient pas tiré sur la corde en allongeant artificiellement la durée de vie et en oubliant de moduler le rythme.
Cela dit, c’était un premier essai de mutation pour Doom, un hybride de FPS et de survival qui transpire l’amour du travail bien fait, alors je reste naïvement convaincu que le Doom 4 à venir concrétisera enfin tous ces espoirs.