Jouer à Diablo 3 en 2023 est une expérience très différente de sa sortie pavée de controverses. Le jeu a troqué son hôtel des ventes contre un mode aventure pour les amateurs de farming, et plus généralement 10 ans de contenu plus ou moins régulier : deux nouvelles classes, les failles, un système de saisons et d’achievements, un cube pour les amateurs de bricolage, des missions journalières de chasseur de prime, de nouveaux modes de difficulté, donjons, et zones.
Ceux qui ont lu le livre de Jason Shreier, “Du sang, des larmes et des pixels“, savent que ces évolutions n’ont pas été de tout repos. Blizzard est passé en mode ‘cellule de crise’ pour revoir sa copie et donner une nouvelle jeunesse à Diablo 3. Il a fallu corriger de nombreux défauts structurels et renoncer aux profits de l’hôtel des ventes dont Activision devait déjà se réjouir.
On ne va pas les plaindre non plus, vu que le jeu avait écoulé 30 millions d’unités en 2015. Il a depuis été porté sur Switch, Tesla et frigos connectés, donc qui sait combien de copies de Diablo 3 sont désormais dans la nature.
Quelque chose n’a pas changé depuis 2012 : la difficulté est toujours aussi ridicule et rend le jeu franchement teubé. Vous avez le choix entre “normal” et “difficile” mais je n’ai senti aucune différence. Dans les deux cas, mon personnage roule littéralement sur tout ce qui bouge, nettoie des écrans remplis de 50 ennemis en moins de deux secondes, et une de mes capacités (army of the dead) one-shot les boss sans même leur laisser le temps de lancer leur grande tirade de méchant.
Alors c’est rigolo une paire d’heures, mais quand on vient de Diablo 2 ou Path of Exile, ça n’a aucun sens. Diablo 2 n’est pas excessivement difficile en mode ‘normal’, mais a suffisamment de répondant pour ressembler à un jeu. Les ennemis peuvent me tuer, les boss sont dangereux et si je reste AFK dans une foule d’ennemis, ça se termine très mal. Je n’ai pas honte de dire que je suis mort un paquet de fois sur Duriel alors que je jouais la classe la plus fumée. Même chose pour PoE qui met un peu de pression dès le début et ne vous laisse pas vous endormir sur votre souris.
Diablo 3, en revanche, n’offre aucun challenge avant son end-game. Et je dis bien AUCUN, sans exagération. J’ai donc joué la campagne en pilote automatique, et en ayant beaucoup de mal à prendre au sérieux les enjeux dramatiques de l’histoire. Quand Tyrael me décrit un prince des enfers comme une menace ultime et que l’instant d’après, je le liquide en appuyant sur un seul bouton, j’ai un peu de mal à me sentir concerné.
Et c’est d’autant plus dommage que l’histoire est sympa et la narration émaillée de cinématiques somptueuses. On passe par toutes sortes de décors épiques en rencontrant des personnages haut en couleur et des ennemis imposants. Je ne demande pas un FromSoft, et je comprends la nature cathartique du hack & slash, mais il y a un juste milieu et Diablo 3 en est très loin.
La maniabilité, au moins, s’est largement amélioré depuis l’opus précédent. On troque les deux uniques boutons de Diablo 2 contre une panoplie de 6 capacités utilisables à tout moment via des raccourcis. Rien de révolutionnaire, on a ça dans tous les MMO et MOBA depuis 20 ans, mais c’est vraiment LE truc qui me cassait les couilles dans Diablo 2. Je suis bien content d’avoir un système dynamique permettant des rotations de sorts plus intéressantes que clic gauche / clic droit.
La direction artistique a beaucoup souffert dans cette suite. On passe de la medieval-horror de Diablo 2, très sombre et très sanglant, à de la high-fantasy façon World of Warcraft, avec des graphismes plus cartoon et colorés qui désamorcent fortement la violence. Ce n’est pas un mal en soi, mais la DA de Diablo 2 avait le mérite d’être plus originale, moins sur-représentée, tandis que Diablo 3 empeste le déjà-vu et le niveau zéro de la prise de risques artistiques. Et pourtant, Blizzard oblige, c’est brillamment exécuté.
La bande son a subit le même sort et on passe de l’OST mythique de Matt Uelmen à quelque chose de bien plus générique et oubliable. Ce n’est pas mauvais et il y a de bons moments, mais on est encore loin du niveau de Diablo 2 qui avait bien plus de personnalité, grâce à l’utilisation d’instruments acoustiques et de nappes anxiogènes aux basses sinistres.
Malgré tout ça, la recette Diablo fonctionne encore. Pas à plein régime comme dans Diablo 2: Resurrected, mais suffisamment pour m’avoir donné envie de voir la fin, et aussi pour la première fois de faire un peu de end-game, pour essayer de comprendre pourquoi certains de mes amis y jouent toujours 10 ans après.
Résultat : je comprends… un peu mieux. J’ai farmé jusqu’à Paragon 155, débloqué les achievements de Torment IV+ pour obtenir le set de la saison 28, et j’ai l’impression d’avoir largement fait le tour de la question. Cela dit, je vois comment fonctionne la boucle de gratification et d’upgrade infinis qui peut pousser à se donner sans cesse de nouveaux objectifs pour aller plus loin et ajouter des grappes de zéros à ses dégâts en testant des builds fumés.
A vrai dire, cette petite incursion dans le mode aventure était curieusement plaisante : on revisite toutes les zones de la campagne pour faire des bounty, des failles, choper des clefs, des loots, des coffres et que sais-je encore. Ignorant les avertissements des menus, j’ai monté la difficulté jusqu’à Torment 4, puis 6, et j’ai enfin commencé à ressentir un peu de difficulté. Les élites ont la peau un peu plus dure et ne meurent plus en un sort, les boss parviennent à me tuer si je fais n’importe quoi, et le choix de mes sorts et de mon équipement a enfin de l’incidence.
Finalement, il n’en fallait pas plus à Diablo 3 pour devenir agréable : juste une once de challenge pour m’empêcher de complètement débrancher mon cerveau, et pour me motiver à m’investir dans ses mécaniques de loot, de build et de craft. C’est le seul ingrédient qui manquait pour dynamiser la campagne solo, et j’ai vraiment du mal à comprendre ce qui a motivé cette politique de difficulté zéro.
Paradoxalement, j’ai bien plus apprécié Diablo III que je ne le devrais. Si je pose un regard froid et rationnel sur ses qualités et ses défauts, l’absence totale de challenge est un problème à la fois si absurde et handicapant qu’il devrait entraîner tout l’édifice dans sa chute.
Et pourtant, la magie du loot opère encore. La réalisation est toujours aussi impeccable et le jeu est ciselé pour donner sans cesse envie de continuer, juste un peu. Encore un coffre, encore un donjon, encore une région ou un chapitre. Il est aussi difficile de s’arrêter que de ne pas promptement relancer une partie et si j’attribue notamment ce phénomène aux pernicieuses mécaniques d’addictions dont il est bourré, Diablo III le doit aussi à la qualité de son design et de son exécution.
Ce n’est clairement pas un jeu que je recommanderais, mais j’y ai indéniablement passé de bons moments de détente décérébrée, au même niveau qu’une soirée pizza-bière devant Fort Boyard.