Pentiment est le dernier jeu narratif d’Obsidian. Sous un enrobage visuel très singulier dans l’esprit des tapisseries médiévales, il vous fera enquêter sur des meurtres mystérieux commis dans une abbaye, dans la Bavière du 16ᵉ siècle. Et si après avoir lu tout ça vous n’êtes pas encore sur Steam ou sur le Game Pass, en train de le télécharger, je doute que le reste de cette critique suffise à vous en convaincre.
Obsidian est un studio mythique auquel on doit certains des meilleurs RPG de ces 20 dernières années, dont Alpha Protocol, Fallout: New Vegas, Pilars of Eternity, et plus récent The Outer Worlds qui m’avait laissé un peu tiède. S’ils n’ont pas fait que des chef d’œuvres, chaque sortie d’un jeu Obsidian capte toute mon attention, et celui-ci plus particulièrement, car il s’agit du projet de cœur de Josh Sawyer.
Josh Sawyer est dans l’industrie depuis bientôt 25 ans, et a signé une liste obscène de RPG : de Icewind Dale à Pilars of Eternity 1 et 2, en passant par Fallout 3. Son nom suffit à évoquer les doux souvenirs de RPG traditionnels à l’écriture dense et touffue. Pentiment est un projet qu’il a essayé de lancer depuis l’époque de Black Isle, au début des années 2000, mais n’a réussi à concrétiser que vingt ans plus tard. Il en aurait fallu beaucoup moins pour attiser mon excitation.
Pentiment est un jeu de niche, pour une audience très précise qui lira le pitch, verra qu’on y joue un enlumineur travaillant dans une abbaye au XVIe siècle, en Bavière, et décidera quand même de s’y intéresser. Ensuite, cette audience déjà restreinte regardera le trailer qui ne ressemble à rien de connu, avec son allure de tapisserie de Bayeux, et ça va encore faire méchamment le tri. Le jeu n’a certainement pas fait l’unanimité dans mon entourage et je n’ai jamais réussi à y faire jouer qui que ce soit. Ce n’est pas faute d’en avoir chanté les louanges.
L’histoire est un Whodunit très classique, l’une de ces histoires en chambre close, à la Agatha Christie. Un meurtre est commis et le coupable se cache parmi un petit groupe de personnages qui ont tous de bonnes raisons d’avoir voulu suriner la victime.
En termes de gameplay, la comparaison la plus évidente serait Disco Elysium : un RPG purement narratif et sans aucun combat, où quasiment tout se règle par le dialogue, beaucoup de dialogues, des dialogues finement écrits, affutés, émouvants et drôles. A ce titre, je n’irai pas jusqu’à dire que Pentiment rivalise avec le chef-d’œuvre de ZA/UM, mais il a bien d’autres qualités pour tirer son épingle du jeu et créer son propre style.
Dans le rôle d’Andreas Maler, vous commencez votre aventure dans le petit village de Tassing que vous découvrirez à plusieurs époques successives, au gré des ellipses de l’histoire. C’est une structure commune au cinéma, mais très peu utilisée dans le jeu vidéo, et qui fait ici des merveilles, car non seulement vous découvrirez l’évolution des nombreux personnages au fil des années, mais vous pourrez aussi apprécier ou regretter les conséquences de vos choix sur le long terme.
Le jeu traite de religion, de politique, de pouvoir et d’enjeux sociaux. Grâce au travail de recherche et aux historiens consultés pendant le développement, Pentiment retranscrit fidèlement l’atmosphère de l’époque et son codex est émaillé de nombreuses anecdotes qui vous cultiveront en plus de vous divertir. En revanche, on pourrait dire que Pentiment est un peu plus “aride” que ce que fait habituellement Obsidian. S’il n’est pas dénué d’humour, il est souvent plus mélancolique ou dramatique que drôle. Certaines scènes, ou les conséquences de mes choix m’ont laissé un goût réellement amer dans la bouche, et des émotions que peu de jeux avaient réussi à susciter.
L’une des particularités notables dont j’ai envie de parler – sans trop en dire – est que le jeu ne vous donne pas toujours de résolution. Vous devrez parfois prendre des décisions dans l’urgence ou sous la contrainte, sans avoir tous les éléments en main, sans savoir si c’est le bon choix. Et lorsque les crédits sont apparus à la fin de l’histoire, je ne savais toujours pas à quoi m’en tenir. Cette incertitude, cette culpabilité latente, ces regrets teintés de remords sont autant de nuances que seul le medium du jeu vidéo pouvait capturer, C’est aussi ce qui rend Pentiment aussi unique et important.
Pentiment est un gros morceau. Sous ses apparences de petit jeu au budget serré se cache une aventure de 15 heures qui demandera toute votre attention pour en élucider les mystères. C’est un jeu exigeant et fin, comme on en voit trop rarement, et j’espère qu’il trouvera son public, car c’est une proposition radicale qu’il n’a pas été facile de vendre à un éditeur, même de l’intérieur.
Pour autant, il n’est pas dénué de défaut, avec notamment quelques grosses pannes de rythme, mais j’aurais vraiment du mal à lui en vouloir. C’est le RPG narratif le plus enthousiasmant auquel j’ai joué depuis Disco Elysium, et à mes yeux le meilleur jeu d’Obsidian, et de Josh Sawyer.