Judgment était un spin-off de Yakuza qui prétendait tout changer avec son habillage de détective, mais faisait du Yakuza pur jus où on casse des bouches à coup de vélo au cœur de Kamurocho, avec une histoire très sérieuse entrecoupée de contenu annexe déjanté. Et il le faisait si bien qu’il n’est pas passé loin d’être mon GOTY 2018.
Deux ans plus tard, une suite débarque et reprend exactement la même recette : Yagami et sa bande reprennent du service et vont mener l’enquête sur des crimes glauques et violents liés aux mafias locales. Le moteur graphique reste le même et on troque les néons de Kamurocho contre les larges avenues de Yokohama où se déroulait déjà Yakuza 7, un an plus tôt. Est-ce pour autant une suite paresseuse ? Loin de là.
Déjà, depuis Judgment, Ryu Ga Gotoku studio a radicalement changé la formule de la série mère, avec Like a Dragon (Y7). Finis les combats brutaux et dynamiques en beat’em up qui avaient fait le succès de la franchise depuis 7 épisodes et 3 spin-offs… Beh oui, je comprends sans mal qu’ils aient eu envie d’essayer autre chose.
Yakuza s’est donc transformé en JRPG – pour le meilleur ou pour le pire selon vos affinités avec le genre – et Judgment devient à mes yeux le nouveau fer de lance du studio en perpétuant la tradition du savatage à coup de vélo et des coups de tatane dans la gueule.
Et ça tombe bien parce qu’il le fait très bien. Certainement mieux qu’aucun Yakuza avant lui. Le premier opus était déjà un cran au-dessus des standards du studio grâce à un gameplay nerveux et satisfaisant, une impressionnante variété de techniques, deux styles de combat bien distincts et des boss à la mise en scène magistrale. Lost Judgment confirme l’essai en étoffant encore l’arsenal de Yagami avec, entre autres, un nouveau style ‘pacifiste’ aux finishers hilarants.
Les nouveautés ne se limitent pas au bourrage de pif. Ainsi, le jeu a tellement envie de se démarquer que s’il reprend les différents gameplay de l’original, il ne les utilisera quasiment jamais :
- Filatures (toujours aussi simplistes)
- Investigations de scènes de crimes
- Courses poursuites (désormais très marginales)
- Pilotage de drone (quasiment oublié)
Pour faire les choses à sa sauce, Lost Judgment introduit une tapée de nouvelles mécaniques, toutes un peu finies à la pisse, et que le jeu semble souvent oublier juste après les avoir introduites :
- Escalade sur rail avec des contrôles rigides et peu intuitifs (présenté au tout début du jeu et presque pas utilisés avant l’épilogue)
- Infiltration (tout aussi bancal, voire pire)
- Skateboard, comme moyen de transport, qui permet de compenser l’open world trop grand et singulièrement vide comparé à Kamurocho.
L’histoire de nouvel opus est clairement son point fort. Sombre, intrigante, ancrée dans des problématiques réelles de la société japonaise, elle fait ainsi écho au premier Judgment sans jamais faire de redite ou sentir le réchauffé : nouveaux thèmes, nouveaux antagonistes, nouveaux drames et dilemmes moraux.
La série a clairement trouvé son style et affiche une élégante unité de ton mais ce nouvel épisode n’en a pas moins été une perpétuelle surprise, riche en coups de théâtre et machinations retorses. Le principal antagoniste m’a aussi très agréablement surpris et donne lieu à un clash d’idéologies réellement passionnant, qui justifie enfin de jouer un personnage aussi psychorigide que Yagami.
Honnêtement, je m’attendais à une conclusion à gros sabots pleine de morale bien pensante, mais le jeu esquive le manichéisme et traite jusqu’au bout son sujet avec une étonnante finesse.
Si le scénario donne une importance inattendue à Tsukumo (le pote nerd) qui devient le nouveau “fleuriste” de la série (pour les connaisseurs), j’ai regretté de voir mes deux favoris, Kaito et Higashi, relégués au second plan pendant le plus gros de l’aventure, même les derniers actes leur accordent quelques moments de bravoure. Loin de Kamurocho, le cabinet d’avocats passe largement au second plan, mais reste néanmoins judicieusement impliqué dans l’intrigue et nous donne une nouvelle excuse pour jouer à la poupée avec Saori.
Comme souvent dans les Yakuza, le rythme est très bizarre et le début passablement poussif, mais une fois que ça démarre, pour peu que vous ne vous laissiez pas trop distraire par le contenu annexe, l’histoire trouve rapidement son rythme et vous lâchera plus les tripes.
La plus grosse nouveauté de Lost Judgment est l’inclusion du lycée de Seiryo. Véritable monde ouvert dans le monde ouvert, il est introduit très tôt, dans le premier acte de la trame principale et Yagami sera amené à y passer quelques heures, sous couverture, pour mettre en lumières les premières clés du mystère sur lequel il enquête. Puis, l’histoire change de cap et se désintéresse de Seiryo, mais vous êtes loin d’avoir tout vu.
Le lycée est un large complexe de plusieurs bâtiments que vous pouvez explorer de fond en comble : de salles de cours en corridors, des souterrains jusqu’au toit, en passant par la cour, la salle de gym ou le réfectoire. Tout y est reproduit avec l’habituelle minutie dont fait preuve le studio, jusqu’à la faune étudiante dont les conversations de couloirs évoluent avec les rebondissements de l’intrigue.
L’intrigue principale ne fait cependant qu’effleurer la surface du lycée. Le plat de résistance est le Mystery Research Club, ou MRC pour les intimes, présidé par Amasawa qui va vite devenir votre meilleure amie et principale alliée durant cet opus, reléguant un peu plus Kaito au banc de touche.
Et quand je parle de plat de résistance, c’est à tel point que le lycée en vient presque à éclipser la trame principale par la densité de ses histoires, mais surtout la variété des activités qu’il propose, et du nombre affolant de personnages et d’intrigues qu’il déroule au fil d’une énorme campagne de 40h.
C’est véritablement un second jeu, que je conseille d’ailleurs de faire après avoir terminé l’enquête principale, au risque de perdre le fil de l’une ou de l’autre.
Pour mener l’enquête dans le lycée et démasquer l’instigateur d’un complot d’envergure, Yagami se sert de sa couverture de conseiller pédagogique pour infiltrer les 10 clubs du lycée. Et c’est là que ça devient malade, car chaque club a une histoire plus ou moins longue et complexe, avec une galerie de nouveaux personnages, mais aussi son propre gameplay spécifique : Robotique, photographie, danse, skate et j’en passe pour ne pas gâcher la surprise, mais certains clubs ont un arc tellement massif qu’il s’agit littéralement d’un troisième jeu dans le jeu… dans le jeu.
Mon favori, la boxe, offre une campagne de 10h écrite comme un pur Shonen de sport avec des tonnes de personnages et des rebondissements à foison. Sur le ring, c’est un tout nouveau système de combat avec caméra et contrôles spécifiques qui va s’étoffer au fil de la progression et des upgrades que vous débloquerez. Tout ça mêlé au gameplay classique du jeu avec des phases d’enquête, de filature ou d’exploration dans le monde ouvert.
RGG a vu les choses en grand et mis les petits plats dans les grands, car si certains mini-jeux sont encore un peu boiteux, on reste très au-dessus des standards de la série et c’est l’intégration au reste du jeu qui lui donne une tout autre dimension. Et après des dizaines d’heures d’investigation, ça se paye le luxe d’avoir un dénouement satisfaisant.
Le revers de la médaille : quasi tout le contenu annexe est au lycée et cette centralisation laisse les rues de Yokohama singulièrement vides. Il y a bien quelques enquêtes (très réussies) à l’agence de détective, et quelques histoires à découvrir via l’app Chatter, mais pour le reste, on perd le côté organique des rencontres fortuites qui découlent sur une quête annexe, comme dans les Yakuza classiques.
Mais sérieusement, face à une telle générosité de contenu, c’est du pinaillage. Avoir ainsi interconnecté tout le contenu annexe et les mini-jeux en une vaste campagne avec une réelle unité narrative était un pari couillu et une réussite totale.
Si vous avez aimé le premier Judgment, vous aimerez au moins autant celui-ci. Sans changer fondamentalement la formule, dont il préserve le ton et certains thèmes, il apporte un vent de fraîcheur à presque tous les niveaux, en améliorant l’existant, en remplaçant certains systèmes bancals par de nouvelles mécaniques boiteuses, mais surtout en repensant complètement la manière dont il aborde les missions annexes et les mini-jeux.
Grâce à une technique solide, une écriture à la hauteur de ses ambitions, une collection de personnages toujours aussi attachants, c’est un jeu massif, dense et passionnant qui confirme une fois de plus tout le savoir-faire du studio. Je suis d’autant plus impatient de découvrir quelle direction prendra la série après ce qui pourrait être le champ du cygne de son héros.