“Dead of alive, you’re coming with me”
De retour au commissariat après qu’une enquête m’a fait découvrir la dépouille d’un officier exécuté dans des circonstances sordides, un collègue effondré me demande de l’aide pour accrocher le portrait du défunt aux côtés de ses pairs tués dans l’exercice de leurs fonctions.
Une effervescence vengeresse gronde dans les locaux, mais je suis déjà en retard pour mon évaluation psychologique avec le Dr Blanche. Au fil de nos sessions, j’ai senti un lien se tisser entre nous, tandis qu’elle m’aide à me reconnecter à une humanité que je croyais perdue. Mais j’ai été si souvent utilisé qu’une partie de moi continue d’envisager qu’elle n’est qu’un pion de plus à la solde de l’OCP pour me déstabiliser et me pousser à la faute.
En chemin, un collègue m’informe que Marvin Kuzak, le maire de Détroit, exige de me parler sans délai. Je sais déjà de quoi il est question, car ce n’est pas sa première visite, et je devine que je le trouverai encore installé sans gêne dans le bureau du commissaire. Les élections auront lieu dans quelques jours et j’ai beau m’être déjà exprimé en sa faveur lors d’une interview par Channel 9, je le sens avide de s’assurer de mon soutien.
C’est un sujet que longuement pesé, car en tant que figure publique, mes interventions ont un poids politique non négligeable et les deux candidats n’ont cessé de me courtiser avec de vaines promesses. Kuzak n’est ni honnête ni compétent, mais je suis convaincu qu’il fera moins de dégâts à Détroit que son adversaire, qui n’est qu’un pantin de l’OCP. La Corporation utiliserait ce regain d’influence politique pour accélérer les projets de construction de Delta City, la destruction des quartiers populaires et l’éviction de ses habitants.
En revanche, apporter mon soutien à Kuzak n’est pas sans conséquence pour moi. Alex Murphy, l’homme que j’étais, est légalement décédé, et OCP a tous les droits sur ma carcasse d’acier. La menace n’a jamais été explicitement formulée, mais je me sais dans une position terriblement précaire, si OCP décide de me déconnecter, me reprogrammer, ou recycler mes pièces détachées, car rien ne pourrait les en empêcher.
“Come quietly, or there will be… trouble.”
C’était 10 minutes dans ma vie de RoboCop, mi-homme, mi-robot, 100% flic ; une figure tragique et tourmentée, singulièrement vulnérable malgré son armure pare-balles et sa force surhumaine, car les pires blessures que l’on peut recevoir ne font pas toujours physiques.
C’est peut-être parce que j’en attendais peu que Rogue City m’a conquis à ce point. Tout ce que j’en avais vu m’avait préparé à un FPS au budget modéré, mais qui semblait très fidèle au matériau d’origine. Et comme j’ai eu récemment la chance de revoir le chef-d’œuvre de Verhoeven sur grand écran, j’étais dans les conditions idéales pour me lancer dans l’aventure.
Le jeu m’a offert bien plus que cela. Au lieu d’un simple shooter, les développeurs polonais de Teyon nous ont concocté un véritable action-RPG à la structure très proche d’un Deus Ex: Human Revolution. On y retrouve le même genre de petite zone urbaine où l’on circule librement pour discuter avec les citoyens, surprendre leurs conversations et s’acquitter de missions annexes qui sont autant d’histoires étoffant l’univers, les thèmes abordés ou la galerie de personnages qui vont graviter autour de RoboCop.
“Serve the public trust”
La vraie star de Rogue City, c’est bien sûr RoboCop, et le jeu vous permet de véritablement incarner le personnage en vivant tous les aspects de son quotidien :
■ Le cocon familial du commissariat, avec tout son écosystème de relations : ce mélange de camaraderie, mais aussi ses querelles, ses tensions, et tous les problèmes de budget liés à la privatisation de la police aux mains de l’OCP. C’est là qu’ont lieu vos évaluations psychologiques et que la presse ou les candidats à la mairie viennent vous harceler.
■ Les patrouilles de routine et leurs petites tâches triviales dans les bas quartiers de Détroit, qui débouchent parfois sur des enquêtes beaucoup plus graves, ou des drames humains dont découlent des choix moraux difficiles.
La dualité du personnage est parfaitement retranscrite. D’un côté, le gameplay et la narration mettent en avant la sensation de puissance aux commandes de ce colosse monolithique à l’épreuve des balles et capable de soulever de terre des containers de plusieurs tonnes. De l’autre, vous garderez un sentiment permanent de vulnérabilité, car RoboCop est sujet à des défaillances, des bugs et victime de hacks. Et surtout, vous avez beau être une machine de guerre apparemment inarrêtable, ce petit cul en inox appartient à l’OCP qui peut vous débrancher à tout moment.
“Protect the innocent, uphold the law.”
À l’image de Geralt, dans The Witcher, RoboCop n’est pas une coquille vide que vous pilotez à votre guise comme dans un Elder Scroll. Les options de dialogues ont une influence sur l’évolution du personnage, et vous permettent d’orienter ses choix selon votre sens de la justice et votre éthique. De nouvelles options deviennent accessibles selon vos scores de déduction ou de psychologie.
Je pense notamment à toutes ces petites conversations où vous choisirez de verbaliser les coupables d’infractions, ou juste leur donner un avertissement, selon la gravité des faits. Je suis à peu près sûr que ça n’a aucun impact sur les autres systèmes du jeu, mais c’est un excellent moyen de réfléchir à quel genre de RoboCop vous avez envie d’interpréter : un parangon de justice inflexible, ou un être plus sensible et doué d’empathie ? J’ai mûrement pesé chaque décision et me suis retrouvé quelque part entre les deux.
Et tant qu’on parle de dialogues, notons aussi que le jeu est souvent drôle. Il réutilise toutes les punchlines d’Alex Murphy et en invente beaucoup d’autres. RoboCop a un humour à froid et distille ses répliques parfois ringardes d’une voix monocorde, avec un sérieux imperturbable.
“If I get my hands on him, I will squeeze more than just a confession”
Et c’est là ma plus grosse surprise : le jeu est très bien écrit, avec des choix dont on ne mesure que plus tard les conséquences, des conversations interactives, et plein de petites interactions anecdotiques comme sauver le chat d’une grand-mère, filer une serviette à un collègue coincé sous la douche, faire la danse du robot pour un gamin extatique, et des dizaines d’autres.
Le plus étonnant est que le jeu a énormément de coeur et donne bien plus d’épaisseur à RoboCop que ne pouvaient le faire les films en 1h30. L’histoire embrasse sans réserve la dimension tragique du personnage hanté par les fantômes de son passé, sa famille qu’il est condamné à ne jamais revoir, et toutes les questions qui le tenaillent sur son identité : entre l’OCP qui le traite comme un vulgaire outil, et sa partenaire qui l’appelle encore Alex Murphy et l’encourage à se raccrocher à son humanité.
C’est aussi au travers du regard des autres personnages que vous découvrez votre identité et choisissez comment vous souhaitez la façonner. Malheureusement, c’est aussi là que le budget serré se manifeste le plus, car les visages sont un peu moches et rigides.
Choisirez-vous de vous allier à la journaliste fouille-merde prête à tout pour dévoiler les secrets d’entreprise de l’OCP ? Avez-vous confiance en votre psychanalyste ? Êtes-vous un bon partenaire ? Voulez-vous prendre sous votre aile la nouvelle recrue, malgré ses allégeances suspectes ? Quel genre de relation aurez-vous avec votre indic accroc au Nuke qui ne semble jamais apprendre de ses erreurs ? Tous les personnages des films sont présents, parfois avec leur doublage original, et quel plaisir de pouvoir passer autant de temps avec tout ce petit monde.
“Somewhere there is a crime happening.”
Les rues de Détroit sont absolument magnifiques et restituent précisément l’ambiance des films. Elles sont aussi singulièrement dépeuplées pendant la première moitié du jeu, ce qui est très certainement lié au budget ou aux performances du jeu, mais ça colle plutôt bien à l’ambiance crépusculaire et presque post-apo qui règne sur cet univers quasi-Cyberpunk.
Le gameplay permet d’explorer les différentes facettes du personnage, avec notamment une excellente utilisation de la “RoboCop vision” qui permet de scanner l’environnement ou d’inspecter des éléments interactifs : autopsier un corps, scanner des données sur un serveur, trouver une défaillance dans un moteur, localiser une VHS dans un video-club. La mécanique est toute simple, mais est utilisée dans des contextes variés, en plus de faire office de “Detective vision” pour vous orienter lors de certaines missions.
L’arbre de compétences est tout simple, mais ce que vous y débloquez à beaucoup d’impact sur l’expérience et la plupart des noeuds, surtout au début des branches, donnent accès à des compétences qui enrichissent le gameplay de combat ou les conversations. Un autre écran vous permet de personnaliser vos circuits à l’aide d’un panneau électrique assez complexe… dont j’ai complètement oublié l’existence vers la moitié du jeu, car les effets ne sont que des pourcentages sur vos stats. Rien de très excitant.
Ces systèmes sont utilisés pour vous inciter à explorer. Les zones sont truffées de recoins et de placards où vous récolterez des pièces à conviction, de la drogue ou des photos compromettantes pour gagner de l’XP, ainsi que divers consommables et objets utilisés pour booster votre personnage. C’est classique à souhait, mais les environnements bourrés de détails invitent naturellement à l’exploration. Pourtant, c’est typiquement le genre de truc qui m’emmerde dans la plupart des mondes ouverts, quand les décors sont génériques et sans âme.
Les zones ouvertes récompensent aussi la curiosité et l’exploration de manière narrative, avec de nombreuses histoires annexes, des conversations à écouter, des postes de radio qui passent des pubs très drôles, absolument dans l’esprit satirique des films. On y trouve aussi pas mal de fan service, avec un nombre étonnant de références à RoboCop 2 comme le Nuke ou la crème solaire hautement cancérigène. Outre ces clins d’oeil, les évènements des deux premiers films sont souvent référencés, mais sans lourdeur, et ça ne rend l’univers que plus cohérent et immersif.
J’ai également été surpris par la quantité d’évènements scriptés et de conversations qui viennent rythmer votre exploration et empêcher la monotonie de s’y installer. J’ai fini par me sentir très investi dans la politique de Détroit, mais aussi dans toutes les luttes quotidiennes de ses habitants.
Toutes ces petites histoires surviennent de manière organique lorsque vous patrouillez les rues de la ville, à l’échelle d’un petit quartier qui – budget oblige – sera réutilisé plusieurs fois dans le jeu. À l’image d’un Kamurocho ou des quartiers étroits de Vampire Bloodlines, on y trouve rapidement ses repères et j’ai apprécié d’y revenir plusieurs fois, à diverses heures de la journée, pour y découvrir de nouvelles histoires, et voir les habitants vaquer à leurs occupations.
“If they want to fly to a war zone, I have first class tickets for them”
Entre ces séquences urbaines, on a des niveaux plus ou moins long où l’on explore une large variété d’environnements. Ces niveaux sont globalement linéaires, même si leur ouverture impose parfois à des aller retour. Ils sont aussi généralement très bourrins, avec des quantités affolantes de fusillades contre des ennemis au kilomètre.
Heureusement, les combats sont suffisamment variés et l’arsenal assez réjouissant pour qu’on s’y ennuie pas. En tant que shooter, RoboCop est fonctionnel et tire son épingle du jeu – encore une fois – par la manière dont il exploite la licence et vous procure de belles sensations de puissance.
Il y a quelque chose de pourri au royaume de Détroit, et RoboCop va faire le ménage. À grand renfort de démembrement, de mains et de têtes qui explosent, le jeu embrasse la violence des films et vous permet de lancer des containers pour écraser la racaille contre les murs, appréhender des suspects en leur jetant des motos à la gueule, sauter de n’importe quelle hauteur et encaisser un paquet de rafales en entendant les balles ricocher contre votre armure. Ajoutez les décors qui explosent sous vos balles en slow motion et vous avez un joli ballet de destruction.
RoboCop est un personnage lent, lourd et increvable. En faire un FPS semblait être une très mauvaise idée. Contre toutes attentes… ça fonctionne, car le jeu fait TOUT pour vous mettre dans les pompes rutilantes du personnage. Les délinquants vous attaquent de tous côtés ? Votre RoboCop Vision va détourer tout ce beau monde et vous aider à combattre le crime, un chargeur après l’autre. Un camion bloque le chemin ? Pas de problème. Besoin de déverrouiller une porte blindée ? Crochetez-la à grand coup de phalanges mécaniques.
Ces massacres pourraient vite s’avérer redondants, mais le jeu introduit régulièrement de nouveaux types d’ennemis et fait varier les plaisirs avec des prises d’otage, des compétitions contre les forces de l’OCP et quelques boss bien nazes, mais visuellement impressionnants.
“I’d buy that for a dollar!”
RoboCop Rogue City se termine en 17 heures que j’ai savourées par petites sessions, car je ne voulais pas que ça se termine trop vite. Il n’y a que peu de remplissage et l’histoire avance sans temps mort, comme une bonne série. Son dénouement prend même le temps de conclure les arcs de chacun des personnages, et de vous raconter ce qui arrive à tout ce beau monde dans les semaines suivant la fin de l’histoire, en fonction de tous les choix qu’on vous a demandé de faire.
Est-ce un jeu que je recommanderais chaudement à quelqu’un qui n’a jamais vu RoboCop ou n’en a rien à secouer ? Probablement pas. C’est avant tout l’utilisation exemplaire de sa licence qui sublime le titre et donne une toute autre dimension à un jeu qui sans cela ne serait pas exceptionnel.
Je conseille également de revoir à minima le premier film avant de se lancer, et idéalement le second, qui n’est pas prodigieux, mais se laisse voir, et que le jeu référence fréquemment.
L’existence même d’un jeu RoboCop en 2023 est une anomalie, car la licence est oubliée et enterrée depuis son reboot foireux en 2014, et rien ne laissait penser qu’il y avait un marché pour Rogue City. Je souhaite sincèrement aux développeurs de Teyon, que ce soit le cas, mais dans tous les cas, je les suivrai de près.