Comme beaucoup de joueurs, j’ai loupé Nier à sa sortie sur PS3 et n’ai découvert la série qu’avec Nier Automata. Étant peu actif sur console à l’époque, sa réception critique mitigée ne m’avait pas spécialement invité à la curiosité. Sept ans plus tard, je joue à Nier Automata qui me retourne la tête et passe les deux années suivantes à écouter sa bande originale en boucle.
Autant dire que j’étais très excité à l’idée de m’atteler au remake de l’original et que j’avais très envie de l’aimer. Je m’attendais à ce qu’il ne soit pas tout à fait à la hauteur de sa suite, particulièrement pour le gameplay, mais j’étais prêt à tout lui pardonner si l’écriture était du même niveau. Malheureusement, il y a vraiment beaucoup à pardonner, et ma clémence aura rarement été récompensée.
Nier Replicant est quand même un très beau remake dont le gameplay a été largement rénové, les graphismes rafraichis, et la bande originale déjà fantastique a été réorchestrée. Malheureusement, les fondations étaient tellement bancales qu’il aurait fallu plus qu’un gros coup de polish pour en faire un grand jeu.
Diesel paraplégique
Il m’aura fallu 15h pour terminer un premier run et voir la fin A (on y reviendra) et les six premières étaient d’un tel ennui que j’ai plusieurs fois pensé à poser la manette et déclarer forfait. Vers la moitié de cette interminable introduction, j’étais si proche de la rupture que je suis allé sonder Reddit pour me donner du courage. Les fans se montrent généralement rassurant et affirment qu’après un début un peu lent, le jeu trouve vraiment son rythme vers l’apparition d’Emil. Et c’est vrai. Alors que je me faisais royalement chier depuis bientôt 7h, le jeu s’est réveillé et m’a balancé d’un coup 3 énormes boss, des scènes épiques à n’en plus finir, des rebondissements dramatiques, et plus d’histoire en 40 minutes que depuis le début du jeu. On parle un peu du rythme ? Parce que, clairement, il va falloir en parler.
“Un début un peu lent” est un doux euphémisme. Si je résume ce qui s’est passé durant ces 6-7h, ça donne : Je vis dans un village, ma sœur est malade. J’ai rencontré un grimoire qui parle et une fille à poil, et on fait des quêtes secondaires un peu nulles en espérant trouver un remède.
Et c’est tout. Les quêtes annexes en question font partie du chemin critique qui vous envoie dans des endroits reculés pour vous faire faire des trucs totalement déconnectés de la trame principale : des gamins qui ont perdu leur mère, un mec qui cherche sa femme, retrouver un gamin perdu dans le désert. Et oui, c’est aussi laborieux que ça en a l’air.
Mais il y a pire. Si vous voulez vraiment perdre votre temps, faites la moindre des quêtes annexes et vous allez vraiment toucher le fond de la quête FedEx paresseuse et à peine contextualisée. C’est du niveau d’un mauvais MMO : va me buter 12 béliers, apporte cette lettre à l’autre bout du monde. À l’arrivée, on vous dit “merci, au revoir” et vous avez parfois un poil de lore pour déchiffrer un world building encore plus cryptique que dans Automata. S’il y a une chose sur laquelles fans et détracteurs s’accordent, c’est que les quêtes secondaires sont une corvée.
Une fois que j’ai trouvé mon rythme et passé le fameux “cap”, c’est devenu un peu plus intéressant, mais le jeu continue d’afficher de sévères problèmes structurels, et ce, jusqu’à son dénouement.
Pour l’amour des aller-retours
Le plus grave est que le jeu n’a aucun ‘flow’. Plutôt que vous faire aller de l’avant de manière organique avec une trame qui se dénoue naturellement, des péripéties, rebondissements et révélations, Nier vous envoie aux quatre coins de la carte pour des raisons bidon, vous tombez accidentellement sur un évènement quelconque qui demande votre attention, et après ça, on retourne au village pour voir si Mister Popo- pardon, si Popola a une autre corvée à nous confier. Rincez, répétez 5 ou 6 fois et vous tenez la structure de la seconde moitié de l’histoire.
Finalement, on passe une bonne partie du jeu à gambader d’un endroit à un autre. On ne va jamais très loin, mais ça casse le rythme et ça ne sert à rien. Dans n’importe quel jeu un peu mieux foutu, les différents évènements seraient connectés et le point A vous emmènerait naturellement au point B, puis au point C, plutôt que se taper A -> village -> B -> village -> C. D’autant plus que trottiner d’une autre à l’autre n’est bien palpitant, mais on va y revenir.
Est-ce qu’on s’amuse entre les aller-retour ? Parfois. Certaines scènes sont très cool et les boss sont particulièrement enthousiasmants : toujours spectaculaires et inattendus. Certains moments de l’histoire sont très surprenants, avec des changements radicaux de caméra, ou même de gameplay. À certains égards, le jeu va encore plus loin qu’Automata, et des scènes comme la première virée en forêt ou la découverte du bunker sont des moments WTF réellement mémorables.
Malheureusement, pour une scène de ce calibre, vous en avez trois dont le rythme est complètement à la ramasse, soit à cause d’un gameplay tiédasse (la plupart des ‘donjons’ sont chiants comme la pluie), soit parce que les séquences sont trop longues et s’étirent bien au-delà de l’ennui, avec la musique qui se met à boucler et boucler jusqu’à en devenir irritante. Oui, Nier Replicant est tellement mal rythmé qu’il a réussi à rendre sa sublime bande son agaçante.
Arrête de ramer, t’es sur le sable
Et si vous pensez avoir touché le fond, laissez-moi ajouter quelques blocs de ciment. Non seulement le jeu est mal rythmé et truffé d’allers-retours, mais en plus, il a l’audace d’avoir un propos méta sur le genre et de se moquer gentiment des J-RPG. Alors, non, Nier, tu aurais le droit de te moquer si tu leur étais supérieur, mais on n’est pas là.
Je vais prendre un exemple qui m’a passablement énervé :
Vous êtes au village, pour la 28ème fois, et le grimoire qui suggère “d’aller voir Popola, au cas où elle en saurait plus sur le shadowlord”. Arrivé dans le sempiternel bureau de Popola, pas de chance, elle n’a rien de neuf. “Ah mais, tant que t’es là, tu peux aller prendre des nouvelles de Roger qui a disparu ? Il parait qu’il est au village portuaire, à l’autre bout du monde.”
Roger est le passeur qui permet notamment de fast-travel, une option qui n’avait encore jamais été utile jusqu’à présent. Ironiquement, c’est que juste quand j’aimerais l’utiliser pour aller demander de ses nouvelles à l’autre bout du monde, il a fait une fugue et je me retrouve à courir comme un poulet sans tête entre les villages.
J’arrive au village portuaire. Roger n’y est pas et on me suggère d’interroger son frère qui vit… dans mon village natal, à mon point de départ.
De retour à mon village, le garde me dit de demander au postier du… village portuaire. À ce moment, le grimoire intervient en se lamentant sur le fait que ce serait quand même pratique si une fois de temps en temps, une quête ne nous envoyait pas à l’autre bout de la carte. Haha, c’est drôle hein ? Parce qu’il casse un peu le quatrième mur pour nous montrer à quel point la quête est nulle. Si je n’avais pas couru 10 mn comme un teubé en esquivant les 800 ennemis inutiles qui respawn inlassablement, ça me ferait sûrement sourire. Au lieu de ça, je me dis que le jeu se fout ouvertement de ma gueule et qu’il est vraiment temps que j’arrête de perdre mon temps.
Pas de chance, 5 minutes plus tard, j’ai droit à un passage très chouette avec un twist de gameplay et de caméra, suivi d’un énorme boss épique. Quand je vous dis que le jeu souffle le chaud et le froid en permanence.
Parodie (in)volontaire de J-RPG
Ce clin d’oeil méta n’est pas un cas isolé et Weiss fera pas mal de remarques de cet acabit au cours de l’aventure : pour se moquer à maintes reprises de Kainé qui se balade en nuisette et culotte échancrée sans aucune raison, pour insister sur les raccourcis scénaristiques, le manque d’intérêt des quêtes secondaires et la propension du personnage principal à tout accepter et faire office de bonniche corvéable à merci auprès de la terre entière.
Le chara-design putassier, le perso trop bon trop con, les quêtes annexes nulles, ça fait partie du contrat d’un J-RPG, et honnêtement, je m’en serais à peine formalisé si le jeu ne m’avais pas sans cesse mis le nez dans son propre caca. Mais là, c’est vraiment difficile de passer un bon moment quand les concepteurs me répètent régulièrement “Hey, regarde ! T’as vu comme notre jeu est nul ?”
Et c’est d’autant plus dommage que les dialogues en eux même sont sympas, et si le jeu ne s’était rendu coupable de ces travers qu’une poignée de fois, juste pour la blague, ça aurait pu être très drôle. De même, si on avait finalement appris que Kainé avait une raison de se balader à poil autre que “le jeu est Japonais, Kainé waifu o kudasai”.
Et oui, je connais l’histoire de Kainé, sa sexualité compliquée et son enfance tourmentée. J’essayerais peut-être même d’y croire si la caméra ne passait pas autant de temps à s’arrêter sur son cul et ses seins bien peu couverts.
Et tant qu’on y est, dans MGS5, Quiet se balade à poil parce qu’elle respire par la peau et elle étoufferait si elle portait des vêtements. Non non, ça n’a rien à voir avec les fantasmes d’ado pré-pubère de son créateur. Ce serait gentil de pas nous prendre pour des cons.
Vous reprendrez bien quelques casseroles
Ce sont certainement les combats qui ont reçu le plus d’attention dans ce remake, et quand je compare à l’original, ça se voit. On a ici un résultat qui se rapproche pas mal d’Automata, et c’est une bonne chose. Sauf qu’Automata – dont le système était loin d’être parfait, et où les consommables infinis tuaient totalement le challenge – réussit quand même tout un peu mieux que Replicant : des combos plus classes, des ennemis plus variés et des combats plus lisibles grâce à des animations plus claires permettant de tirer parti des perfect dodge et perfect parry.
Pour autant, ça reste très plaisant à manier, grâce à un dash jouissif qui permet de contourner facilement les ennemis, des animations élégantes et plein de sorts aux effets visuels spectaculaires. On en fait quand même le tour très rapidement et ça se renouvelle très peu par la suite, si ce n’est l’ajout de nouveaux types d’armes trop lentes que je n’ai jamais eus envie d’utiliser.
Une des conséquences du bestiaire limité et d’un système de combat dont on fait très vite le tour, c’est que je n’ai jamais eu envie de me battre dans l’open world, quand je voyageais d’une mission à une autre pendant les nombreux aller-retours. Au lieu de ça, j’ai rapidement compris que la meilleure technique était de courir en ligne droite et de dasher en boucle pour esquiver les attaques. Malheureusement, ça rend les trajets encore plus ridicules et monotones.
Dans les donjons, c’est pas trop la fête non plus. Les souterrains de la décharge, par exemple, contiennent deux types d’ennemis. Vous entrez dans une salle, elle se verrouille et se remplit d’ennemis, et chaque vous que vous y repasserez, rebelote. Et c’est loooong ! Ajoutez à ça qu’il est très facile de se perdre dans ce complexe plein de couloirs qui se ressemblent tous, sans indication claire de destination, et vous aller bouffer des combats au kilomètre avant de trouver votre chemin.
On peut imputer une partie de ces problèmes au budget limité, mais ça n’explique pas tout.
La Gestaltisation en question
Avec tout ça, je n’ai pas encore parlé des masses de l’histoire, unanimement considéré comme le point fort de Nier. Et je suis d’accord, vu comme tout le reste est à la rue, le fait est que le jeu se distingue surtout par ses personnages, sa trame et son univers.
Grâce à des dialogues bien sentis et des interactions fréquentes entre vos compagnons, on cerne rapidement les personnages : Weiss, hautain et condescendant, doublé par l’excellent Liam O’Brien, sort clairement du lot. Ses disputes incessantes avec le héros sont parmi les meilleurs moments du titre. Kainé qui jure comme une charretière est rigolote aussi, et Emil devient presque attachant avec ses discours cucul sur le pouvoir de l’amitié et l’entente entre les peuples.
Ne comptez pas sur le jeu pour expliciter quoique ce soit concernant l’univers et les évènements passés ou présents. Jusqu’à la 4e fin, ça reste passablement cryptique, et la 5e fin rajoute encore une couche de gloubiboulga, histoire de vous foutre la tête sous l’eau si vous pensiez avoir compris. Il y a de quoi creuser, et si vous confrontez ça au lore de Nier Automata, voire à celui des Drakengard, vous pouvez vous amuser un bon moment à spéculer sur le projet Gestalt, le Syndrome de Chlorification Blanche et le processus de Gestaltisierung.
Abécédaire des fins alternatives
Comment ça, 5 fins ? Oui, après une quinzaine d’heures pour boucler un premier run (si vous esquivez tout le remplissage optionnel), vous pouvez lancer une nouvelle partie et refaire la même chose avec quelques variations. Et si vous continuez à refaire le jeu suffisamment de fois, vous finirez par voir toutes les fins.
Automata faisait ça aussi, mais beaucoup mieux. Dans Automata, le run B radote un tantinet, mais offre quand même 50% de contenu inédit. Et les runs suivants n’ont rien à voir, continuent l’histoire ou changent carrément de point de vue. Replicant, dans le meilleur des cas, se contente d’ajouter quelques dialogues et de courtes scènes qui recontextualisent les évènements de votre première partie. Et la plupart des runs se contentent de changer la conclusion.
ATTENTION, on entre dans le domaine du SPOILER majeur :
Ce qui me froisse un peu, c’est que la recontextualisation en question devrait arriver comme une surprise, mais le jeu a un peu trop bien préparé le terrain, sans grande subtilité.
Pour une jeune audience, peu attentive, ou sans expérience dans de ce genre d’histoire, il est sûrement très choquant de découvrir que les Shades ne sont pas des créatures maléfiques, mais des êtres doués de raison et de motivations. Et ça doit aussi faire un choc de découvrir que les pulsions meurtrières et la vendetta de votre protagoniste n’étaient pas justifiés. Cela dit, si vous avez un peu suivi les signaux que le jeu envoie dès le premier run (la musique tragique à la mort du loup, par exemple), ces scènes additionnelles ne recontextualisent pas grand-chose, puisque vous saviez déjà qu’il y avait anguille sous roche.
Rien de ce qu’ajoute le run B ne justifie en tout cas de se retaper tout le jeu. À la fin d’Automata, j’avais passé un super moment et j’étais absolument disposé à remettre le couvert. À la fin de Replicant, j’étais usé et impatient que ça se termine.
Les runs C et D changent le dénouement en ajoutant un boss optionnel et en donnant plus d’épaisseur à Kainé. Ce n’était pas du luxe, mais encore une fois, rien de ça ne mérite de s’infliger le jeu une troisième fois.
Et enfin, la fin E exclusive au remake est excellente, WTF au possible et ne vous force pas à tout refaire, puisqu’il s’agit juste d’une petite heure additionnelle. Mais le prix à payer pour y aboutir est bien trop élevé. Personnellement, je ne regrette pas d’avoir pris le temps de regarder tout ça en streaming, mais j’ai du mal à imaginer qu’on puisse aimer le gameplay de Replicant au pouvoir d’avoir envie de se l’envoyer 3 ou 4 fois d’affilée.
Nier Replicant est un jeu complexe et difficile à noter, comme en témoigne cette critique à rallonge. Il souffle sans cesse le chaud et le froid, avec de longs moments d’ennui entrecoupés de séquences à couper le souffle. Il alterne sans cesse les quêtes FedEx dignes d’un MMO coréen, avec des fulgurances ludiques qui donnent envie de continuer malgré tout.
Il mélange une écriture naïve et une histoire d’une richesse inouïe, terriblement mal racontée par votre grand-oncle qui a un Alzheimer, répète dix fois la même chose, fait des apartés inutiles et se perd dans des anecdotes laborieuses.Pour tous ses défauts et son potentiel mal exploité, j’avais envie de le saquer, car le jeu m’a souvent mis en colère. Mais je respecte trop l’audace de la proposition pour être aussi sévère que je le devrais. Le jeu va clairement diviser, entre ceux qui l’ont découvert à l’époque et lui pardonnent tout, et ceux qui ont commencé par Automata et… attendaient mieux que ça. Mais à sa décharge, la barre était juste trop haute.
Et malgré tout, Replicant est un remake bien exécuté, avec une belle direction artistiques, d’énormes boss, une bande son sublime et plein de bonnes idées.
Au final, je pense que l’appréciation du titre tiendra en grande partie à votre capacité à endurer le grind et la répétition pour découvrir les nuances des personnages et du monde, car il y a de beaux trésors cachés sous la couche de problèmes et le gameplay rédhibitoire. Je suis content d’avoir pu voir les fins alternatives grâce à la magie du streaming, car personnellement, je n’ai pas eu la foi.