J’avais deux heures à tuer, alors j’ai lancé Dragon’s Dogma, juste le temps de voir que c’était un peu nul et de pouvoir enfin le retirer de mon backlog où il croupissait depuis des années. 58 heures plus tard, j’ai fini le jeu de base et ratissé l’extension jusqu’au niveau 72 et j’ai dû me forcer à ne pas repartir pour 40h de plus dans la difficulté supérieure.
Pourquoi ai-je à ce point sombré dans Dragon’s Dogma ? Difficile à dire, car au premier abord, le jeu n’a pas grand chose pour plaire :
- C’était moche en 2012 et ça l’est encore plus aujourd’hui
- La direction artistique grisâtre oscille entre fadeur et laideur
- L’univers est générique au possible : il y a des épées, des dragons et des gobelins
- Vous êtes l’élu légendaire de la prophétie venu sauver le royaume
- La boucle de RPG basique avec des coffres et des loot ne fait pas trop rêver
- La difficulté punitive amène à le comparer (injustement) à Dark Souls
Si vous n’avez pas encore changé de page, je vous félicite pour votre ouverture d’esprit, et vous en serez récompensé, car Dragon’s Dogma est malgré tout le jeu le plus marquant et addictif auquel j’ai joué depuis longtemps, et je n’aurais jamais pensé me tromper aussi lourdement sur son compte.
Intrigue générique de RPG med-fan n°78
Un méchant dragon attaque votre village et vous arrache le coeur, sans anesthésie. “Si tu veux récupérer ton palpitant, viens donc le chercher dans ma tanière”, déclare-t-il avant de prendre majestueusement son envol. Vous avez survécu à l’opération et jurez de récupérer votre dû. Un moustachu surgit d’un portail magique et vous annonce que vous êtes l’élu d’une prophétie mystique et qu’il vous suivra désormais comme un clébard.
Deux autres “pawns” vont se joindre à votre groupe de fortune, avec lesquels vous pourrez explorer les landes infestées de brigands et de gobelins, ou écumer des donjons lugubres truffés de reptiles et de harpies. De temps à autre, un griffon, un cyclope géant ou une chimère vient vous mettre un gros coup de pression et le jeu se transforme en un Shadow of the Colossus sous acide où toute votre équipe escalade le monstre pour lui planter des instruments tranchants dans les organes vitaux.
Vous n’avez pas encore décroché ? Je me doute que ça ne fait toujours pas rêver, mais on va parler un peu de ce qui rend le jeu aussi exceptionnel.
Ce qui rend le jeu aussi exceptionnel
Si vous avez bon goût et vous intéressez à l’écurie Capcom, sachez que Dragon’s Dogma est le bébé de Hideaki Itsuno, plus connu pour la série des Devil May Cry. Et oh boy, qu’est-ce que ça se sent, manette en mains ! J’ai choisi de jouer guerrier, avec une grosse épée qui taillade et un bouclier qui fait Ch’tonk quand je bloque. De manière générale, si un jeu propose un bouclier qui fait Ch’tonk, de préférence avec une gestion du perfect block, c’est là que vous me trouverez.
Une fois l’épée en main, je me croirais dans la peau de Dante. Après une demi-heure de jeu, j’avais débloqué des techniques absolument jouissives me permettant de dasher vers les ennemis, les projeter dans les airs ou les clouer au sol. Et le bouclier ne gâte rien puisque vous pouvez mettre de grands coups d’écu dans les culs et lancer vos coéquipiers pour des attaques combo aériennes. J’étais conquis.
Les bases même du système de combat, le feeling, les sons et les effets, tout ça rend le jeu incroyablement plaisant à manier. Les affrontements ont du punch, c’est violent, ça pisse le sang et à ce stade, je n’en avais absolument plus rien à secouer que les couleurs soient si ternes qu’on se serait parfois cru en noir et blanc, ou que le rendu évoque plus Resident Evil 4 que The Witcher 3.
À cela s’ajoutent toutes sortes de systèmes super cool :
- Escalader les ennemis pour aller leur planter des couteaux dans les yeux est une activité qui ne vieillit pas. Rarement explorée dans les jeux vidéos, c’est une mécanique tellement jouissive qu’après 60h de jeu, j’avais toujours autant de plaisir à me suspendre à la queue d’un dragon ou aux fesses d’un cyclope pour lui latter les baloches. Ces séances d’escalade tapent dans votre jauge d’endurance, qui sert aussi à courir et à utiliser les coups spéciaux, et ça fonctionne parfaitement bien.
- L’ambiance en extérieur ne casse pas beaucoup de briques, mais les donjons sont sinistres et poisseux à souhait ! Déjà, il y fait souvent totalement noir et vous n’irez pas loin sans votre lanterne et suffisamment d’huile. Et attention à ne pas vous étaler dans une flaque d’eau croupie. À ce titre, l’île de Bitterblack, de l’extension Dark Arisen, est absolument fantastique, avec une ambiance oppressante et des décors encore plus lugubres.
- Le jeu a une petite collection de classes et d’hybrides, avec tous les classiques du genre, et il est très facile de changer de job pour toutes les essayer. Vous pouvez tout aussi facilement re-spécialiser votre pawn et passé une courte période de rodage, le temps de débloquer les nouvelles compétences, vous serez rapidement opérationnel. Cela m’a permis de tester l’archerie, la magie, les dagues, et de vite me rendre compte que rien ne valait un gros tranchoir et bouclier qui fait Ch’tonk.
- L’histoire commence mal mais finit dans le n’importe quoi le plus total, et c’est génial. Vous réalisez que la vie est un cycle sans fin, que le dragon est un prophète et on vous envoie rencontrer dieu. Sans en révéler trop, ça devient encore plus bizarre et vous pouvez finir par vous suicider et devenir votre propre grand amour. Bref, c’est Japonais.
- Le jeu de base se termine en une trentaine d’heures. J’ai passé de super moments et j’étais prêt à donner au jeu un solide 8/10. C’était sans compter sur l’extension, Dark Arisen, qui vous offre un énoooorme dongeon à tiroir : une descente aux enfers à travers des kilomètres de galeries infestées des saloperies les plus vicieuses et de boss gigantesques qui dépassent de loin tout ce que vous aviez pu voir dans le jeu de base. L’ambiance est top, les combats sont épiques as fuck et je ne voulais pas que ça se termine.
- Les pawns !
Ces adorables cons de pawns
Les pawns sont vos compagnons NPC. Au début de l’aventure, vous créez votre pawn principal et pouvez choisir son apparence et sa classe. Vous recrutez les deux autres au hasard de vos pérégrinations ou en allant les chercher dans le monde parallèle des pawns. Ça devient rigolo quand on sait que les pawns que vous recrutez sont les pawns principaux d’autres joueurs, et que votre pawn principal peut se faire embarquer par d’autres joueurs et revenir avec toutes sortes de trésors et de connaissances.
Votre pawn principal level-up en même temps que vous, tandis que vous devrez régulièrement remplacer vos recrues. C’est du multijoueur asynchrone dans l’esprit de Death Stranding et je ne fais qu’effleurer la surface de ce système, mais il en a sous le capot. J’étais agréablement surpris de voir que les serveurs tournent encore 10 ans après la sortie du jeu. Vous pouvez aussi jouer en offline si vous êtes vraiment misanthrope mais vous avez tout à gagner à ne pas le faire.
L’une des fonctions les plus étonnantes de ce système est l’acquisition de connaissances par les pawns selon les aventures qu’ils ont vécues. Il m’est arrivé de recruter des pawns qui avaient déjà fait le prochain boss sur ma liste de course et ont pu me donner des conseils pendant le combat. De la même manière, votre pawn principal peut revenir de balade chez un autre joueur avec de précieuses informations sur des zones que vous n’avez pas encore visitées.
Un pawn ne ferme jamais sa gueule. Ils passent leur temps à crier des conseils en combat, à discuter du paysage quand vous vous balader, à ponctuer chaque découverte de commentaires triviaux. Ils peuvent surtout répéter 20 fois la même phrase si vous passez 20 fois à côté de la même souche. Certains trouveront ça horripilant, moi je trouvais ça plutôt attachant, et narrativement très à-propos.
Vous l’aurez compris, Dragon’s Dogma est un jeu que j’aime d’amour. C’est un action RPG qui ne ressemble à aucun autre, avec des combats relativement techniques et hautement satisfaisant, de l’escalade de monstres géants et des compagnons NPC qui donnent l’impression d’être dans un MMO avec des copains un peu cons et trop bavards.
A l’heure où Elven Ring s’apprête à tout défoncer sur son passage, il est aussi intéressant de découvrir un autre jeu à la philosophie similaire mais sans l’excès de masochisme. Il n’est jamais trop tard pour découvrir ce trésor caché de Capcom, un jeu injustement méconnu dont les fans sont incroyablement passionnés, surtout depuis les rumeurs d’une suite en développement !