Fan de la première heure des jeux CDPR, j’avais pré-commandé le premier Witcher en 2007, bien avant l’explosion de la licence auprès du grand public : avant Assassins of Kings, Wild Hunt, Gwent, le méconnu, mais néanmoins excellent Thronebreaker, et la série Netflix. C’était aussi avant de lire les romans et les nouvelles, de regarder la vieille série Polonaise ainsi qu’un nombre affolant de cosplays de Triss.
Alors évidemment, Cyberpunk 2077 est un titre que j’attendais comme le messie, d’autant que tous les indicateurs étaient au vert :
- Un changement radical d’univers au profit d’un de mes genres de prédilection
- Une direction artistique phénoménale et une apparente fidélité au matériau d’origine
- Le passage en première personne dont je n’avais même pas osé rêver.
Malgré tout, j’ai eu la patience de ne l’aborder qu’après 15 mois de patch intensifs, dans une version bien plus aboutie, autant en termes de contenu que de finitions, et c’est exclusivement cette version que je jugerai aujourd’hui, sans m’attarder sur les controverses très légitimes entourant sa sortie houleuse en 2020.
J’avais beau avoir des étoiles dans les yeux, il y avait largement de quoi douter :
- Des ambitions absolument démesurées (et un marketing bien trop agressif)
- Un changement de direction brutal pour un studio qui doit apprendre à faire de la bagnole et du shoot
- Un turn-over massif après la sortie de The Witcher 3, conséquence des conditions de travail intenables qu’avaient subis les employés
Et pourtant, si le résultat n’est pas parfait et que le studio s’est pris plusieurs fois les pieds dans le tapis, Cyberpunk 2077 a dépassé mes espérances et je viens de plus de 80h à arpenter les rues de Night City en long, en large et en travers, jusqu’à terminer la moindre quête secondaire et tous les contrats de mes fixers, avant de finalement consentir à vivre la conclusion de son histoire.
Immersion totale dans Night City
Le plus indiscutable succès de Cyberpunk 2077 réside dans la restitution flamboyante et méticuleuse de son univers. Night City est absolument magnifique, fourmille de détails et la moindre ruelle respire l’amour que les artistes de CDPR y ont insufflé : des avenues bordées de néons aux coupe-gorges crasseux couverts de graffitis, des autoroutes saturées aux larges terrasses densément peuplées.
Vous y trouverez aussi des marchés asiatiques exigus, le quartier rouge et ses vitrines ‘aguicheuses’, la banlieue latino dont la pauvreté contraste avec les villas qui dominent la périphérie de la mégapole, un quartier naguère festif en pleine déliquescence et transformé en zone de guerre… je pourrais continuer un bon moment.
Chaque quartier a son histoire et regorge de personnalité. Et la faune locale est à l’avenant, avec des piétons plus ou moins excentriques, riches ou pauvres selon la section arpentée, et des groupes armés arborant les couleurs de leurs gangs respectifs.
Autour de la ville s’étendent les badlands, un désert de rocailles, palmiers et cactus jonché d’épaves rouillées et de monceaux de déchets, dont une large surface est occupée par les installations électriques qui maintiennent la ville sous perfusion d’énergie tandis que les factions nomades s’écharpent sur ses dunes les plus reculées.
La direction artistique est un triomphe et fait de Cyberpunk le plus beau auquel j’ai joué à ce jour, mais je suis particulièrement sensible à cet univers, et la technique ne gâte rien, mais ça n’a pas grand-chose à voir avec le Ray-tracing dont on a tant parlé, mais dont l’intérêt demeure très discutable. Il est rare que je termine un jeu avec plus de 1300 captures d’écran au compteur, et je n’ai même pas pris le temps d’explorer les possibilités du mode photo, car je craignais de péter le rythme en m’arrêtant tous les 10 mètres pour faire de l’Art.
Avec sa direction artistique phénoménale et un rendu sur PC va vous décoller la rétine à tous les coins de rue, Night City n’a cessé de m’éblouir jusque dans les derniers instants, et j’ai dû me forcer à la quitter.
Et ça ne s’arrête pas au design urbain : les NPC ont une prestance incroyable et vous pourrez choisir parmi une quantité affolante de vêtements et d’accessoires pour rivaliser avec eux. Les armes puent la classe, les bagnoles… mon Dieu, les bagnoles. J’ai beau n’avoir aucune affinité pour les grosses cylindrées, le design des caisses de Cyberpunk 2077 m’a donné des frissons et ont failli me transformer en fan de TopGear (Quadra Type-66 “Javelina” et Shion “Coyote”, mes deux amours).
Et j’ai beaucoup parlé des extérieurs, mais les intérieurs ne gâchent rien : sombres et sordides ou bardés de néons et de miroirs, il y en a pour tous les goûts et toutes les strates sociales. Les nombreuses histoires vous permettront d’en découvrir de multiples facettes.
Tant qu’on parle de direction artistique, je mentionnerai aussi la bande originale de Marcin Przybyłowicz (The Witcher 2 & 3) que j’écoute à haute dose depuis plusieurs mois, avec son mélange de gros synthwave qui tâche et de pistes symphoniques. Et c’est quand les deux se mélangent que la magie opère vraiment, comme dans le thème principal.
Linéarité mal déguisée
Cyberpunk n’est peut-être pas le RPG à l’ancienne que vous attendez, avec des dialogues interactifs et des arborescences de choix altérant le déroulement de la trame. Ce n’est pas The Witcher, ni Mass Effect, et on va plutôt taper dans du GTA agrémenté d’un peu de roleplay, avec des missions d’action/infiltration, du shoot et de la conduite, entrecoupé de séquences narratives principalement sur rail.
Alors, vous prendrez bien quelques décisions de temps à autre, et s’il est appréciable de choisir les répliques de V et de la façonner légèrement selon vos désirs, ces petites décisions n’ont qu’un impact très mineur, quand il n’est pas simplement inexistant et que le NPC réagit de la même manière aux deux options de dialogue.
De même, le choix de vos origines en début de partie n’a qu’une incidence très brève sur le déroulement de l’histoire, mais vous aurez sans cesse des options de dialogue vous rappelant vos origines, et j’ai trouvé ça très agréable de voir ma Corpo-V coiffer au poteau ses interlocuteurs en étalant sa connaissance des magouilles politico-financières des grandes institutions de Night City.
Ici, pas non plus de vieux choix qui viennent vous mordre le cul 30 heures plus tard comme dans The Witcher mais surtout Alpha Protocol. Vos décisions ont souvent un impact immédiat ou à court terme, et même les fins multiples peuvent toutes se tester en rechargeant une sauvegarde, puisqu’elles ne dépendent que de vos derniers choix de dialogues en aucunement de ce que vous avez fait pendant les 50h d’avant.
Cyberpunk 2077 n’en reste pas moins un jeu fortement narratif, dont l’écriture solide vous plonge dans un futur pas si lointain, aussi sordide que fascinant. N’attendez pas de l’anticipation crédible, un quelconque sous-texte géopolitique, ou une once de subtilité dans les travers sociaux qu’il dénonce : Cyberpunk, c’est le futur tel qu’on le voyait dans les années 80, et la vision n’est plus spécialement pertinente. Dans une version moderne, les mega-corporations Japonaises comme Arasaka seraient certainement remplacées par Tencent ou Alibaba et on parlerait beaucoup plus de désastres écologiques ou d’effondrement systémique.
Ceci dit, pour ce qu’il souhaite accomplir, le jeu sublime l’univers décadent imaginé par Mike Pondsmith et c’est un vrai bonheur de s’immerger au cœur de Night City et d’y vivre le quotidien d’un chasseur de prime : de ses modestes débuts à ses excès les plus extravagants (Oui, je loue 5 appartements et 2 penthouse, et alors ?)
J’irais jusqu’à dire que le jeu réussit tout ce qu’il entreprend :
● Raconter une histoire solidement ancrée dans son univers, tout en exploitant au maximum les thèmes de la cybernétique, des mega-corporation, du cyberespace et des luttes de factions. La trame principale n’est pas extraordinaire et si vous comptez survoler le jeu en une vingtaine d’heures pour ne faire que ça… je ne recommanderai probablement pas d’y jouer.
Les missions annexes (histoires de personnages et contrats en tous genres) représentent 85% du contenu total, soit une soixantaine d’heures. Honnêtement, seule une portion de ces histoires mérite vraiment d’être jouées, mais elles apportent énormément à l’immersion dans Night City et au développement de certains personnages majeurs, à commencer par Johnny.
● Développer une large galerie de personnages crédibles et attachants. On est à des années lumières des coquilles vide à la Bethesda, et je me souviendrai longtemps de Judy, Panam, Rogue, Jackie, Johnny, pour citer les plus importants, mais aussi de pas mal de seconds rôles très bien croqués, tels que Misty, Kerry, Wakako, River, Claire, Vektor, Takemura ou même Delamain. Certains arcs de personnages risquent de me hanter un moment et d’autres questions vos propres valeurs morales.
Particulièrement dans les moments plus intimes et émouvants, si la qualité de l’écriture donne vie à ces personnages, le doublage mérite amplement d’être salué et fait un spectaculaire sans faute ! Mention spéciale pour V dont l’actrice, Cherami Leigh, offre une performance habitée, et Keanu Reeves dont le charme monolithique vous accompagnera tout le long du jeu.
Cyberpunk en 30h : Mode d’emploi
J’en profite pour un petit aparté. Si vous souhaitez une version abrégée de Cyberpunk sans rien rater d’essentiel, voici une sélection tout à fait objective des quêtes à ne surtout pas manquer :
Tout ce qui concerne :
● Judy (Jusqu’à “Pyramid Song”)
● Panam (Jusqu’à “Queen of the Highway”)
● Johnny Silverhand (y compris Kerry et ses ramifications)
Et 3 questlines à faire absolument :
1. “Sinnerman” & “There Is A Light That Never Goes Out” (Contact: Wakako)
2. “Dream On” (Contact : Jefferson Peralez)
3. “Following the River” & “The Hunt” (Contact : River)
Douilles fumantes et amputations sans anesthésie
Mélanger FPS et conduite dans un Action-RPG avec des compétences, des niveaux et tout le bordel habituel d’un RPG, ça se passe rarement bien. La plupart des missions secondaires ont lieu dans l’open world et peuvent être abordées de diverses manières selon votre profil : flingueur, hacker, ou tueur silencieux. Certaines situations peuvent occasionnellement se résoudre par le charisme ou les bons choix de dialogue.
Et contre toutes attentes, ça fonctionne très bien. On a beaucoup critiqué la conduite à la sortie, mais en version patchée, j’ai trouvé ça très correct. Le shoot est sympa, les combats au katana sont jouissifs au possible (faire des sauts de 5 mètres, des glissades au ralenti et voir voler les membres de vos ennemis dans votre sillage, ça ne vieillit pas) et l’infiltration est très permissive, ce qui était la meilleure décision possible, car il n’y a rien de plus irritant qu’un stealth pété ou mal réglé avec une difficulté en roue libre.
Franchement, venant d’un studio qui n’avait jamais touché à ce genre de gameplay, sur un moteur maison, et sans faire appel à des studios spécialisés, Cyberpunk est un miracle. Un miracle à la gestation semée d’embûches, entre les reports, le crunch insoutenable, les mensonges du marketing et les problèmes de QA, mais le résultat est à la hauteur des ambitions du studio.
À quel prix ? C’est ce qu’on saura dans quelques années quand sortira le prochain jeu de CDPR. Le studio a encore perdu une grande partie de ses employés à des postes clefs, la faute à une gestion éditoriale déplorable et à des conditions de travail intenables.
Cyberpunk est tout ce dont je rêvais pour un jeu dans cet univers cher à mon coeur. Il brille avant tout par sa galerie de personnages attachants et mémorables, des heures de dialogues pour des dizaines d’histoires, et une immersion totale dans Night City, la mégapole tentaculaire et sublime où évolue tout ce beau monde.
Le gameplay est solide sans être spectaculaire et il s’agit avant tout d’un jeu narratif auquel vous ne jouerez certainement pas juste pour le shoot ou la conduite. Si vous adhérez à l’univers, l’histoire et ses protagonistes, vous trouverez de quoi vous régaler pendant de nombreuses heures. Il y a toujours un quartier à découvrir, un contrat à honorer ou un personnage à rencontrer. Au-delà de cela, le grondement sensuel de votre Quadra 66 tandis que vous explorez les artères vertigineuses de Night City est un plaisir sans cesse renouvelé.